« Les Alchimies » : Sarah Chiche en équilibre sur le crâne de Goya

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« Les Alchimies », de Sarah Chiche, Seuil, 240 p., 19,50 €, numérique 14 €.

Dans Saturne, le précédent ouvrage de Sarah Chiche (Seuil, 2020), Francisco de Goya ne passait qu’une tête. Mais le tableau Saturne dévorant un de ses fils (1819-1823), dont un personnage envoyait une reproduction à ses parents, constituait le centre secret de ce récit où les adultes broyaient leurs rejetons une génération après l’autre.

Cette fois, c’est autour du crâne de Goya que gravitent entièrement Les Alchimies. Le peintre espagnol (1746-1828) tient lieu de point de contact entre la veine précédente de Sarah Chiche, somptueusement autobiographique, et celle qui lorgne le roman picaresque, à laquelle elle s’essaie ici. On y retrouve aussi, outre un remarquable mélange d’intelligence et de sensibilité, des motifs et des obsessions présents dans Les Enténébrés (Seuil, 2019) et Saturne : il y est question d’une lignée de médecins, de transmission, de « la ligne de partage entre les vivants et les morts », de la fascination pour les gouffres…

Or donc, Goya. Son nom sert de pseudonyme à l’expéditeur d’un courriel adressé à Camille Cambon. Cette femme de 48 ans est médecin légiste dans un grand hôpital parisien, profession qu’exerçait son père, mort dans un accident de plongée avec son épouse (généraliste) trente ans plus tôt. Jeune étudiant, Pierre Cambon avait écrit un essai sur le peintre aragonais et sur son crâne, dérobé peu après son enterrement dans un cimetière bordelais ( l’exilé s’était installé dans la ville girondine en 1824). Cette disparition est l’une des grandes énigmes de l’histoire de l’art, et le mystérieux correspondant promet à Camille que, si elle se rend à Bordeaux pour le rencontrer, il lui racontera « tout » non seulement sur Goya, mais aussi sur ses parents et sur son parrain. Grand ponte de la neurologie, le second s’était occupé de l’adolescente après le décès des premiers. Le trio était lié par le « démon de la connaissance » et soudé « à la vie, à la mort ».

« Tous les plis de nos âmes »

On ne sort peut-être pas des Alchimies en sachant tout sur Goya, mais beaucoup, à n’en pas douter. Ce partage du savoir passe par de longs monologues didactiques (ceux du père dans les souvenirs de Camille, et ceux de son contact bordelais) qui cassent un peu le mouvement du roman. Celui-ci est, au reste, entravé par la multiplicité des chemins qu’il semble tenté de prendre, les uns à la suite des autres, outre la monographie de Goya : portrait d’un hôpital public en lambeaux ; comédie familiale sur les rapports houleux entre une mère et sa fille adolescente et sur un couple dysfonctionnel (celui formé par Camille et son ex-mari) ; essai traitant du génie et de ses origines ; quasi-thriller gothique nous entraînant dans les catacombes parisiennes, où s’exécutent des danses macabres…

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