« Le Tiers Pays » (El tercer pais), de Karina Sainz Borgo, traduit de l’espagnol (Venezuela) par Stéphanie Decante, Gallimard, « Du monde entier », 296 p., 23 €, numérique 17 €.
Deux femmes au milieu du chaos. Deux héroïnes confrontées à l’enfer – l’afflux de migrants, à la frontière de deux pays dont on ne connaît pas le nom : c’est le scénario qu’a choisi Karina Sainz Borgo pour Le Tiers Pays, son deuxième roman, trois ans après La Fille de l’Espagnole (Gallimard, 2020), où elle racontait le destin d’une jeune femme dans une Caracas plongée dans la guerre civile. Si la romancière vénézuélienne choisit d’évoquer ici, sans la nommer, la grave crise migratoire qui touche le Venezuela et la Colombie, c’est pour mieux décrire une problématique commune à l’ensemble de l’Amérique latine. Elle y parvient très bien.
Angustias a fui la « Sierra orientale » pour la « Sierra occidentale » avec son mari, après l’apparition d’un mystérieux virus : une « épidémie d’amnésie » qui transforme en personnages fantomatiques ceux qui en sont atteints. Leurs deux bébés, nés prématurés, sont morts pendant ce long périple, et le couple cherche à les enterrer. C’est une femme intrépide qui s’en chargera : Visitacion Salazar a ouvert un cimetière illégal sur un terrain vague calciné, baptisé « le Tiers Pays », pour inhumer les morts de la frontière, désormais trop nombreux pour les fosses communes. Cette « légende vivante », sorte de prêtresse dont Angustias deviendra l’assistante, œuvre en échange d’aumônes sur ce terrain qu’elle s’est approprié. Mais c’est compter sans les différentes forces en présence dans la région qui, toutes, revendiquent ce territoire : les « narcos », un pion à la solde du parrain local, les « irréguliers », c’est-à-dire les guérilleros, ou encore le maire et le curé de la ville.
L’écriture incisive et l’humour avec lesquels la romancière traite l’affrontement entre ces personnages font de cette histoire un western bien trempé. D’autant que les deux associées sont prêtes à risquer leur vie pour défendre le lieu sacré.
Combats de coqs
On pense aux Terres dévastées, du romancier mexicain Emiliano Monge (Philippe Rey, 2017), qui raconte l’exploitation des migrants par les « narcos » en Amérique centrale, ou encore à Signes qui précéderont la fin du monde, de Yuri Herrera (Gallimard, 2014), également mexicain, où une femme part à la recherche de son frère, passé de l’autre côté d’une frontière. Karina Sainz Borgo dépeint semblable violence : ici, les combats de coqs, la précarité, la drogue et les règlements de comptes entre bandes rivales rythment le quotidien de la zone.
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