« Le retour, enquête sur Saïf Al-Islam Kadhafi » sur Arte : une énigme libyenne

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ARTE – MARDI 19 SEPTEMBRE À 23 H 35 – DOCUMENTAIRE

La scène est mémorable. En ce jour de novembre 2021, Saïf Al-Islam Kadhafi orchestre son retour médiatique dans une cité du Sud Libyen, oasis cernée de sable saharien. Lui, le fils du Guide de la révolution, Mouammar Kadhafi, tué lors de l’insurrection de 2011, disparu de longues années en d’obscures geôles ou caches, le voilà offrant soudain sa silhouette métamorphosée à l’œil d’une caméra. Drapé dans une ample tunique bédouine, long turban moutarde noué au front et, surtout, généreuse barbe grise de cheikh, il signe maladroitement – trois doigts lui manquent – un document électoral.

L’événement est d’importance : Saïf Al-Islam Kadhafi se présente à l’élection présidentielle en Libye prévue quelques semaines plus tard. Et qu’importe si le scrutin n’aura finalement pas lieu. L’essentiel est bien là : le clan Kadhafi, qui avait mis le pays en coupe réglée durant quatre décennies, est toujours en embuscade. Dans les décombres d’un pays ravagé par un « printemps » qui a mal tourné en chaos milicien, Saïf Al-Islam a repris le bâton familial dont il veut faire un futur sceptre.

Cette fameuse scène du « retour » de novembre 2021 ouvre le passionnant documentaire de Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas. A la fois portrait du deuxième fils du colonel Kadhafi et tentative de décryptage du réseau qui accompagne ses ambitions, le film lève un coin du voile sur un des aspects les moins documentés de l’actuelle équation libyenne. Un coin du voile seulement, bien sûr, car les zones d’ombre demeurent épaisses. « L’enquête a été bien plus difficile qu’on ne le pensait, avoue Martine Laroche-Joubert. On s’est heurté à un mur du silence. »

Play-boy et jet-setter

Le calcul était que la candidature de Saïf Al-Islam permettrait aisément de décrocher une interview du postulant et un visa sur place à la faveur de la campagne électorale. Or l’annulation du scrutin a ruiné ces espoirs. Ni visa, ni interview, tout s’est refermé, verrouillé à triple tour. Le résultat s’en ressent, privé d’une captation physique du personnage mais surtout de ses soutiens locaux, de son audience réelle auprès d’une population tiraillée, déchirée entre le cruel souvenir du règne Kadhafi et la détestation de l’instabilité post-2011.

Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas n’en ont pas moins persévéré, reconstituant pièce par pièce le puzzle Saïf Al-Islam avant la déchéance de 2011 comme après. Elles ont retrouvé des proches (un « bras droit », un « milliardaire américain » et divers « intermédiaires ») s’exprimant sous le sceau de l’anonymat ou des Occidentaux l’ayant croisé lorsqu’il était le visage avenant de la Grande Jamahiriya (« Etat des masses »). Car le fils de Kadhafi, play-boy et jet-setter en Angleterre (où il était inscrit à la London School of Economics), était doté d’une mission : rassurer les Occidentaux à l’heure où le régime de son père voulait se racheter de sa sulfureuse réputation d’Etat terroriste. Il fallait donc convaincre les auditoires européens – plutôt bienveillants – que la Libye se réformait, qu’elle cheminait à son rythme vers la démocratie.

Mythe du retour

Mais la vague des « printemps arabes » de 2011 a fait voler en éclats l’illusion et ramené la Grande Jamahiriya à ses fondamentaux de la violence. Quand Saïf Al-Islam promet fin février aux rebelles des « rivières de sang », il expose à la face du monde la réalité de cette fable du réformisme dont il s’était fait le héraut. La diatribe lui coûtera cher : une inculpation par la Cour pénale internationale et la brutale disgrâce après la victoire de la révolution. Il sauvera pourtant sa peau car la milice qui le détient à Zinten, au sud-ouest de Tripoli, en a fait un pion, une carte, un gage, très utile à négocier.

Durant toutes ces années, le mystère nimbe son sort. Ses geôliers – ou anges gardiens ? – le retiennent loin des regards. On le dit psychiatriquement affecté, en proie à la quête mystique. Jusqu’à son subit « retour », vraisemblablement couvé par les Russes. Une réapparition éphémère cependant puisqu’il s’efface à nouveau. Des raisons de sécurité ? Détenteur de bien des secrets du régime de son père, Saïf Al-Islam a sûrement quelques raisons de prendre garde. Ses « proches » n’alimentent pas moins le mythe de son inévitable retour. « Le discours est prêt, assure l’un d’eux. Même la couleur de son costume. »

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Une restauration – éventuelle – mais dans quel but ? « Venger son clan ou pardonner ? », interrogent Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas. Chez Saïf Janus, quel visage l’emporterait ? Spéculation hasardeuse. Mais le simple fait qu’on pose la question donne l’air du temps.

Le retour : enquête sur Seïf al-Islam, de Martine Laroche-Joubert et Maryline Dumas (Fr., 2023, 53 min.) Disponible sur Arte.tv.

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