L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
A 60 ans cette année, Michel Gondry mériterait enfin qu’on cessât de le qualifier de grand adolescent. Quand bien même il offrirait plus souvent qu’à son tour des verges pour se faire battre.
Disons que l’esprit d’aventure et de bricole – hérité d’une famille de musiciens et d’inventeurs farfouilleurs – colle aux semelles de ce Versaillais qui s’est taillé à Hollywood une belle réputation (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 2004 ; Soyez sympas, rembobinez, 2008 ; Le Frelon vert, 2011), sans pour autant cesser de cultiver son esprit artisanal, consacrant ici un documentaire à sa tante institutrice cévenole (L’Epine dans le cœur, 2010) ou animant en 2011, au Centre Pompidou, transformé en mini-studio, L’usine de films amateurs, des ateliers de tournage ultrarapides à la portée de tous, chacun repartant avec son petit film (encore merci Michel !).
Processus de fabrication
Un coup d’œil rapide sur cette carrière – et c’est encore le cas avec son dernier film en date, le road-movie en camion bricolé des deux ados Microbe et Gasoil (2015) – permet d’envisager le processus de « fabrication » considéré en lui-même comme le grand motif existentiel et artistique de Michel Gondry. Fabrication d’objets, de procédures et protocoles, tels qu’ils déterminent la fabrication de soi tout au long de cette expérience suprême qu’est notre propre vie. C’est peu de dire que Le Livre des solutions ne s’éloigne guère de ce motif, qui a pourtant déjà beaucoup servi. Comme dans Soyez sympas, rembobinez – qu’on tient à ce jour pour le chef-d’œuvre de son auteur –, c’est le cinéma lui-même qui fait ici office d’instrument d’apprentissage.
Tout commence par une scène de lynchage. Dans le bureau huppé de ses producteurs, Marc, cinéaste supérieurement fébrile, mythomane et anxieux (Pierre Niney), se fait sévèrement remonter les bretelles et déposséder de sa copie de travail. Ni une ni deux, il fonce avec une équipe de fidèles réduite au minimum – Charlotte, sa monteuse (Blanche Gardin), et Sylvia, son assistante (Frankie Wallach) – mettre la main sur les précieux ordinateurs et prend la poudre d’escampette jusqu’à la maison de Denise (Françoise Lebrun), sa bonne tantine cévenole et plus grande fan, pour y terminer son film comme il l’entend. Assailli par les idées, convaincu de son génie, il écrit pour tenter de garder la tête froide un « livre des solutions », recueil de réponses haut perchées à une liste de problèmes incongrus.
Problème : le cerveau perpétuellement enfiévré de Marc, qui croit, comme artiste démiurge mais privé du soutien de ses financiers, que tout est possible, se met au défi de réaliser des idées souvent loufoques et met à très rude épreuve les nerfs de ses collaborateurs. A cet égard, s’il possède en Denise une fidèle en toute situation, c’est une autre paire de manches avec son équipe, aussi attentionnée soit-elle. Colérique, fouillis, impatient, mythomane, tyrannique, en inadéquation presque constante avec la réalité, Marc se rend communément insupportable, mais a pour lui la croyance inébranlable en son projet. C’est sa force.
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