Créé à Strasbourg en 1983 avec l’ambition de promouvoir autant la création que les jalons historiques du XXe siècle, le festival Musica a connu quelques changements d’orientation en quatre décennies. Celui opéré depuis 2019 par Stéphane Roth, 42 ans, paraît le plus radical car il se focalise moins sur les œuvres que sur les « modalités d’écoute », comme on a pu en juger lors du week-end d’ouverture de la manifestation, qui se déroule jusqu’au 1er octobre. Un premier exemple de cet élément fédérateur de la programmation était fourni samedi 16 septembre, dans le Hall Grüber du TNS, par l’interprétation live et théâtrale d’une œuvre de Luciano Berio, A-Ronne (1974), conçue à l’origine pour une diffusion exclusivement radiophonique.
Muni d’un casque, l’auditeur est invité à déambuler dans un espace à peine éclairé où se déplacent également les huit chanteurs (HYOID Voices) requis pour la pièce. Si l’on ne se prête pas au jeu de l’écoute individualisée et que l’on préfère voir, et entendre grâce à des haut-parleurs, le tout comme un spectacle, à quoi ressemble cette mise en scène d’A-Ronne par Joris Lacoste ? Au rite hallucinatoire d’une communauté survivaliste. Déployé dans l’équivalent d’un abri souterrain, le méli-mélo conceptuel de Berio passe vraiment pour une de ces vieilles lunes de la modernité qui ont perdu leur éclat et ses officiants (interprètes, auditeurs) ne sont pas loin de figurer les derniers pratiquants d’une musique « contemporaine » appelée à disparaître.
Théâtre des enfers en vidéo
Dans cette perspective, la découverte de la seconde affiche du 16 septembre, Don Giovanni aux enfers, donnée en création mondiale à l’Opéra du Rhin, ne sera pas moins édifiante. Simon Steen-Andersen, responsable de tous les niveaux de l’œuvre – du livret à la mise en scène en passant par la musique – se soucie bien du passé, lui, mais pour le recycler. Représentant majeur du mouvement de la New Discipline, ce Danois de 47 ans est un virtuose de l’emprunt dévoyé. Tout commence ici avec l’apparition du Commandeur (dans le Don Giovanni de Mozart avec musique, costumes et décors « importés » du XVIIIᵉ siècle). Le mécréant se rebelle, la terre tremble, des vagissements électroniques emplissent la salle et Don Giovanni (ou l’acteur qui joue son rôle, le très crédible Christophe Gay) se réveille sur une paillasse six pieds sous terre.
S’ensuit une rocambolesque histoire où le diable, rebaptisé « Polystophélès » (hypnotique Damien Pass), n’en finit pas de torturer, sur un mode onirique, le nouvel arrivant. La vidéo prend les commandes de l’action pour faire de l’Opéra du Rhin (de l’entrée des artistes jusqu’aux loges) le véritable théâtre des enfers. Quant au collage musical dont Steen-Andersen constitue la nouvelle étoile, il fonctionne plutôt bien dans la première partie du spectacle. Faust (Gounod), Macbeth (Verdi), les trois Parques (Rameau), le Hollandais volant (Wagner) se mêlent au destin post mortem de Don Giovanni dans une partie de dominos qui accueille aussi du metal rock, de la techno et une chanson de Rosalia. Cependant, un étonnant quintette, l’Ensemble Ictus, intervient à l’occasion de séquences d’une originalité qui, cultivée à grande échelle, aurait pu faire, de cette farce parfois télévisuelle une épopée caustique à la manière du Grand Macabre, de György Ligeti.
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