C’est à une soirée éprouvante que nous convie la production du Conte du tsar Saltane, de Rimski-Korsakov, mis en scène par Dmitri Tcherniakov, déjà présenté en 2019 à Bruxelles. Une « légende sociale » plus cruelle que le plus poignant des contes : celle d’un enfant autiste, dont la vie tient au fil d’un univers mental peuplé de personnages imaginaires. Recroquevillé, dos au public, il est là dès le prologue théâtral, qui tient lieu de mise en situation : une femme sobrement vêtue d’un camaïeu de marron, jupe et pull-over, cheveux défaits, parle de cet enfant pas comme les autres, qui se tient immobile devant le rideau de scène. Mais voici la musique.
L’opéra débute à la cour du tsar Saltane, où deux méchantes sœurs, la Tisserande et la Cuisinière, encouragées par la malfaisante Babarikha, s’emploient à pourrir la vie de leur cadette, Militrissa. Jusqu’à ce que le tsar décide d’en faire sa tsarine, au grand dam du trio infernal, qui cherchera à l’évincer. Ce sera chose faite dès Saltane parti en guerre : une fausse lettre lui ayant annoncé la naissance d’un fils monstrueux, il ordonnera l’exil de la tsarine et de son nourrisson, le tsarévitch Gvidone, tous deux enfermés dans un tonneau et livrés aux flots tempétueux de la mer.
Le metteur en scène, également décorateur, a conçu une interpénétration des mondes du réel et du fantastique par le regard de l’enfant et le truchement de dessins animés et de vidéos, tandis que les personnages du conte s’affublent, tels des pantins, de costumes traditionnels revisités par le crayon d’un illustrateur de livres pour enfants. On sait l’amour de Tcherniakov pour les légendes russes qui ont baigné son enfance. Sa direction d’acteurs n’aura de cesse d’emprunter à la gestuelle des danses populaires, tandis qu’il imposera, au long des trois actes de l’opéra, la rhétorique corporelle de l’autiste, ses attitudes de repli, les mouvements répétés des mains, des bras, gestes épileptiques de joie, convulsions de douleur, qui ensauvagent le corps.
Folle inventivité
L’abordage sur l’île de Bouïane sauvera les naufragés. D’abord aride et désertique, elle se couvrira d’une faune et d’une flore luxuriantes, ainsi que d’un fastueux palais après que Gvidone aura sauvé la Princesse-Cygne des serres d’un vautour (en fait, un horrible magicien). Mais le tsarévitch brûle de connaître son père. Sur les conseils de l’Oiseau-Cygne, le voilà transformé en insecte – le fameux Vol du bourdon, qui constitue le tube de l’opéra, composé en 1899 par Nikolaï Rimski-Korsakov à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Alexandre Pouchkine, sur l’un des contes les plus célèbres du poète.
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