« Le Comte », sur Netflix : le retour de Pinochet en vampire

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Avant de sacrifier aux cultes de Jackie Kennedy et de Diana Spencer, Pablo Larrain a nourri son cinéma d’un cauchemar national. De Tony Manero (2008) à No (2012), en passant par Santiago 73, post mortem (2010), le cinéaste chilien a disséqué les mécanismes et les séquelles du sanglant coup d’Etat qui, le 11 septembre 1973, a renversé le président démocratiquement élu Salvador Allende.

Lire l’entretien avec Pablo Larrain (en 2020) : Article réservé à nos abonnés « Cette génération est celle de ce nouveau Chili qui va arriver »

Sur chacun de ces films planait l’ombre d’Augusto Pinochet. On aura beau chercher dans les génériques de cette trilogie, on ne trouvera pas le nom du tyran gominé, qui restait hors champ. Le Comte, qui, après avoir concouru pour le Lion d’or à Venise, sort directement sur Netflix, donne à Pinochet le premier rôle qu’il s’était octroyé par la terreur dans son pays. Certes, le dictateur catholique ne s’est sans doute jamais rêvé en vampire. C’est de cet emploi qu’il devra se contenter, comme une insulte infamante luxueusement emballée dans un noir et blanc délicatement expressionniste – si l’on veut bien passer l’oxymore –, cadeau d’anniversaire destiné à raviver le souvenir du long (1973-1990) passage au pouvoir de cet homme sans qualités.

L’entreprise est méritoire, menée avec une audace et une virtuosité qui sont celles d’un cinéaste maître de son art. Ce Pinochet volant (Jaime Vadell) qui plane sur Santiago des années après la proclamation officielle de sa mort, en 2006, pour dévorer les cœurs de ses victimes après les avoir passées au blender n’inspire pourtant ni horreur ni terreur. Pablo Larrain a préféré le noyer dans la dérision, au risque de rester prisonnier de sa métaphore du tyran qui saigne à blanc le peuple dont il a théoriquement la charge.

Labyrinthe mémoriel

Le scénario, de Pablo Larrain et Guillermo Calderon, raconte l’enfance d’un orphelin français au XVIIIe siècle, qui se découvre vampire au moment de la Révolution, traverse les siècles et les océans pour accéder à la tête de la glorieuse armée chilienne. Cette histoire, mise en scène avec élégance et solennité (l’image est du grand chef opérateur Ed Lachman), est narrée en anglais d’Angleterre, d’une voix irritante dont on comprendra plus ou moins vite qu’elle sort du gosier de la meilleure amie d’Augusto, Margaret.

Après avoir dû quitter le pouvoir, le dictateur immortel s’est réfugié en compagnie d’un séide terrifiant (Alfredo Castro, fidèle compagnon de Larrain, qui semble s’amuser de l’ignominie de son personnage) dans une ferme abandonnée, au fond d’un fjord brumeux. Là, le vieil homme qui n’arrive pas à mourir reçoit sa famille, son épouse et ses enfants. La première voudrait que le vampire l’invite à le rejoindre dans l’éternité, les seconds sont pressés de voir papa trépasser afin de toucher les millions du kleptocrate.

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