Vertige cosmique, jeudi 9 mars, en ouverture de Spring, festival international des nouvelles formes de cirque. D’abord, La Boule, duo pour deux femmes imbriquées, n’est pas ronde et roule de travers. Elle sautille sur une jambe, sort soudain des antennes, se métamorphose en baleine ou tortue. Ce casse-tête vivant est signé par Liam Lelarge et Kim Marro. Il dégage la route pour mieux s’y perdre au spectacle Les quatre points cardinaux sont trois : le nord et le sud, d’Andrés Labarca. Dans une impressionnante baraque en ruine, deux hommes se cherchent des noises et finissent par méchamment se trouver.
Ces deux pièces de jeunes circassiens aux antipodes donnent la couleur contrastée de Spring. Basée à Cherbourg (Manche), la manifestation se déploie jusqu’au 16 avril sur les cinq départements de Normandie. Une irrigation massive d’un territoire énorme, qui rallie des institutions, dont l’Opéra de Rouen, à la salle des fêtes de Ménesqueville (Eure). Autant dire que le thème de cette édition, « La Conquête de l’espace », joue autant sur les échelles des lieux que sur les gabarits des productions. « On voit de plus en plus de scénographies ambitieuses chez la nouvelle génération, constate Yveline Rapeau, directrice de Spring. Peut-être est-ce l’exemple de têtes d’affiche comme Vimala Pons ou Phia Ménard, mais certains metteurs en scène de cirque ont envie d’avoir les moyens de gros dispositifs. »
Ce penchant paradoxal dans un contexte de crise soulève évidemment des réactions. « Des tensions d’abord, poursuit Yveline Rapeau. Notre réseau est moins doté que le théâtre et les réductions de budget se font sentir. » Un point de vue partagé par Martin Palisse, jongleur et directeur de Multi-Pistes, à Nexon (Haute-Vienne), qui tempère : « Sans se laisser entraîner par la seule économie, il faut parfois démarrer par des formes plus modestes, plutôt que de compter sur des scénographies énormes qui lorgnent vers le théâtre en diluant le geste circassien. » A l’inverse, l’acrobate Mathurin Bolze, aux manettes du festival Les Utopistes, à Lyon, soutient que « le cirque contemporain doit arrêter de se contenter de solos ou duos sans décor pour pouvoir survivre, et ne pas avoir honte de prendre du poids et de la place ».
Sur la corde raide
Avec près de 700 compagnies en activité, cette scène bouillonnante toujours en croissance traverse une passe délicate. « Les lieux sont noyés sous les propositions de spectacles et asphyxiés par les problèmes financiers et l’augmentation de leurs frais fixes, analyse Mathurin Bolze. Ils doivent remplir les salles avec moins de moyens et sont incapables de répondre à tous les artistes qui cherchent à être programmés. » Quant aux treize Pôles nationaux cirque, ils peinent à accompagner les multiples projets qui se bousculent au portillon. « On n’a pas arrêté d’ouvrir nos studios pour des résidences de travail depuis deux ans, mais notre capacité de diffusion est en train d’atteindre ses limites », commente Frédéric Durnerin, directeur de l’Agora, à Boulazac (Dordogne).
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