L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Christian Petzold « retient » l’été, comme si c’était le dernier. Voici des cendres en guise de lucioles, une plage luminescente et une partie de ping-pong verbal qui commence à quatre et ne finira pas au complet. Dans Le Ciel rouge, son dixième long-métrage, Grand Prix du jury à Berlin, le réalisateur allemand livre un conte rohmérien à l’heure de tous les dérèglements, avec un quatuor d’acteurs qui déconstruit constamment le récit avec une fluidité stupéfiante.
Petzold n’est pas le seul à revisiter l’œuvre de l’auteur de Pauline à la plage (1983) et du Rayon vert (1986), tout en réinventant les scénarios : les personnages mutent, les classes sociales se mêlent et les récits s’élargissent à d’autres horizons. Chaque été, de nouveaux contes arrivent en salle, poursuivant le roman des vacances, ce temps libre où l’on « se fait du cinéma ». Citons Eva en août (2019), de l’Espagnol Jonas Trueba, sublime déambulation dans les rues madrilènes ; le savoureux A l’Abordage (2020), de Guillaume Brac, où quelques galériens de l’amour tentent leur chance au camping ; ou encore l’intense Ava (2017), de Léa Mysius, sur une jeune fille (Noée Abita) qui perd la vue et capte les derniers « feux » sur la plage.
Christian Petzold inscrit son récit dans le romantisme allemand avec une maison sertie dans une clairière, d’où l’on peut s’échapper comme par magie pour rejoindre la forêt, la mer… Deux amis, Leon (Thomas Schubert) et Felix (Langston Uibel), qui se sont rencontrés dans une école d’art, partent quelques jours au vert pour finir leurs travaux – des photos à produire pour Felix et un deuxième roman pour Leon. En arrivant, ils découvrent une invitée surprise en la personne de Nadia (Paula Beer), beauté magnétique qui fait tomber les garçons comme des mouches dans sa robe rouge. Paula Beer jouait dans le précédent film de Petzold, Ondine (2020), inspiré du mythe de la sirène et premier volet d’une trilogie que Le Ciel rouge poursuit.
Echanges affûtés
A ce trio s’ajoute bientôt David (Enno Trebs), qui, durant l’été, travaille comme maître-nageur. Il en a tous les attributs, passe une nuit avec Nadia, puis les deux amants deviennent amis, tout simplement. Tout serait léger si Leon n’était pas prostré dans son mal-être et sa suffisance : ce deuxième roman le hante, et personne ne peut le comprendre, pense-t-il, ni le sauveteur en mer ni Nadia. Le désir affleure sans faire l’objet de discussions, contrairement à l’œuvre rohmérienne, et l’amour se fait hors champ. Comme si Christian Petzold voulait faire autrement, en commençant par ausculter son personnage le plus frustré.
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