Le secret le mieux gardé du cinéma anglais, ce sont les films de Joanna Hogg, réalisatrice et photographe née à Londres, en 1960, à laquelle le Centre Pompidou, à Paris, consacre une rétrospective du 16 au 20 mars. Soit six longs-métrages, un court-métrage commandé par Beaubourg, Présages, ainsi qu’un film fantastique de fin d’études, Caprice (1986), une critique du milieu de la mode, comme un écho de Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966), de William Klein. Il y a près de quarante ans, cet essai futuriste révélait la jeune Tilda Swinton, cheveux jusqu’à la taille, laquelle avait déjà ce regard de médium – créditée au générique avec son prénom d’origine, Matilda. Amie d’enfance de Joanna Hogg, Tilda Swinton occupe une place particulière dans cette filmographie, mêlant l’autobiographie et la réinvention de souvenirs.
L’actrice britannique joue aussi dans le dernier long-métrage de Joanna Hogg, The Eternal Daughter, qui sera dévoilé en avant-première à Beaubourg, le 16 mars, avant sa sortie en France le 22 mars. Elle y interprète le double rôle d’une femme et de sa mère âgée dans l’atmosphère gothique d’un hôtel déserté. Tilda Swinton confirme son art de la métamorphose, sans effets spéciaux, et l’agilité du récit nous happe dans un simple mais vertigineux travail de champ, contrechamp.
« Le cadrage tient une place centrale dans mon travail. Ce sont les photos que je réalise pendant le repérage qui me permettent ensuite de réfléchir à la mise en scène », explique la cinéaste dans un appartement parisien, à deux pas du Grand Rex. Nous l’avons rencontrée, lundi 13 mars, silhouette frêle et adolescente, débarquant à Paris après un vol très matinal depuis l’Italie, des valises sous les yeux et des paillettes dans l’iris noisette. Joanna Hogg a grandi dans le Kent. Son père, assureur, qui voyageait souvent aux Etats-Unis, lui a fait découvrir les comédies musicales hollywoodiennes. « A huit ou dix ans, j’étais amoureuse de Gene Kelly et de Frank Sinatra, d’autant qu’à l’époque je prenais des cours de claquettes. »
Crises transitionnelles
Au début des années 1980, Joanna Hogg entre à la National Film and Television School, à Beaconsfield, dans le Buckinghamshire, mais c’est seulement dans les années 2000 qu’elle s’autorise à faire du cinéma. « Après mes études, j’ai été réalisatrice pour la télévision anglaise, un métier qui m’a permis de gagner ma vie et de prendre confiance. Mais c’était aussi un piège, j’y suis restée une douzaine d’années. » Puis l’horloge cinématographique s’est mise à sonner : « Mon père est mort dans un accident. Forcément, on pense au temps qui reste… J’ai écrit un poème au lendemain de sa disparition, et cet acte a été le déclencheur de mon premier long-métrage, Unrelated (2007). » Ce film ainsi que les deux suivants, Archipelago (2010) et l’hypnotique Exhibition (2013), sortiront en salle en France le 29 mars. La matrice de son œuvre est déjà là. En filmant les crises transitionnelles de ses personnages, la réalisatrice insuffle une inquiétude à basse tension, comme si la caméra, s’infiltrant dans la vie intime, faisait un détour inattendu dans le film de genre.
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