En 2012, Laurent Mauvignier écrivait sa première pièce de théâtre (Tout mon amour). Onze ans plus tard, l’auteur de Loin d’eux et d’Histoires de la nuit (Ed. de Minuit, 1999 et 2020) passe à la mise en scène et crée son dernier texte au Théâtre national de la Colline, à Paris. Avec Proches, qui raconte l’histoire de personnes attendant la sortie de prison d’un jeune homme, Yoann, il effectue un zoom vertigineux sur la nature aliénante des rapports familiaux. Une plongée en forme de dérapage contrôlé qui oscille d’une normalité de façade vers le dérèglement.
Qu’est-ce que le théâtre vous apporte que vous ne trouvez pas dans l’écriture du roman ?
Le théâtre ne me hante pas de la même manière. Mon désir de lui est un caillou dans ma chaussure : il apparaît, disparaît, réapparaît. Vient un moment où, pris au piège, je sais que je vais être obligé de passer par lui. Ce n’est pourtant pas ce pour quoi je suis le plus doué. J’ignore combien de temps la pièce en cours va me réquisitionner : deux, trois, quatre ans ? Je vais au bout d’une version, j’attends, je me relis quelques semaines plus tard, et là, je suis consterné. Tout est nul. Alors je m’y remets. Dans le roman, je me sens chez moi. Au théâtre, je me sens chez les autres. J’ai besoin du théâtre parce que j’ai besoin des autres. Il me déstabilise, me violente, m’agace, mais je viens précisément y chercher une façon différente de penser la narration.
Il y a pourtant de la théâtralité dans vos romans. La ligne est-elle si franche que ça ?
Si je suis allé vers le théâtre, c’est précisément pour clarifier la question de sa présence dans mes romans. Les tout premiers étaient des monologues où, peu à peu, je me suis senti à l’étroit, coincé dans le regard d’un unique personnage. J’avais envie de plus d’amplitude et d’un mixage entre des points de vue omniscients qui circuleraient de tête en tête. Mais je me méfie des adaptations qui désarticulent mes livres. Même si c’est l’enfer, je voulais écrire directement pour le théâtre, car il a une façon passionnante d’échapper à la linéarité. Lorsque j’étais étudiant aux Beaux-Arts [de Tours], l’auteur Valère Novarina est venu faire une lecture. Pour le jeune élève inculte que j’étais – arrivé de ma campagne, je sortais d’une année de brevet d’études professionnelles spécialité comptabilité et n’avais pas le bac –, ce moment a été déclencheur. La génération de Samuel Beckett [1906-1989] et de Marguerite Duras [1914-1996] passait indifféremment du roman au théâtre, celle d’après ne l’a pas fait. Pourquoi ? Duras dit que mettre en scène, c’est mettre en littérature : ça me paraît évident.
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