Un planeur en suspension. Une voiture de collection. Un camping-car aérodynamique. Un dôme géodésique. Des sculptures de Brancusi. Un bronze de Boccioni… Non, ce n’est pas une chanson de Boris Vian. C’est le cœur de l’exposition « Norman Foster », qui vient d’ouvrir au Centre Pompidou, à Paris, une exposition d’architecture qui excède largement les frontières du genre. C’est la première fois, de fait, que la discipline qu’on appelle « mère de tous les arts » a les honneurs de la galerie 1, l’espace le plus prestigieux de l’institution parisienne.
Cette salle dédiée aux passions et aux inventions de l’architecte a été pensée comme son « coffre à jouets », explique Frédéric Migayrou, le commissaire de l’exposition. Patron d’une agence de 1 800 salariés dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle a remodelé, en quelques décennies, la face de notre monde et reconfiguré la manière dont on y vit, Norman Foster nous est présenté ici comme ce démiurge qui n’aurait jamais renoncé à ses rêves d’enfant et qui aurait même mis toute sa puissance au service de leur réalisation. Un garçon issu d’un milieu modeste, fils d’un comptable et d’une caissière, qui s’est hissé au firmament des architectes (il a reçu le prix Pritzker en 1999), a été anobli par la reine Elizabeth II (en 1999 également), qui collectionne les voitures prototypiques et pilote des avions dès qu’il en a l’occasion (il en aurait essayé soixante-quinze types différents, du planeur à l’avion de ligne).
L’exposition a des accents d’autoportrait, et pour cause : c’est Foster lui-même qui en a eu l’idée. L’envie lui en serait venue, raconte Frédéric Migayrou, après avoir découvert celle que le Centre Pompidou a consacrée en 2018 à l’œuvre de Tadao Ando. Le budget est colossal, confie le commissaire, mais on n’en saura pas plus : le Centre Pompidou refuse d’en communiquer le montant, et reste aussi secret sur la manière dont il a été financé.
L’architecte pilote est, en tout cas, partenaire de l’exposition. Il a fourni le matériel, fédéré les sponsors (Bloomberg en tête, dont il a réalisé le siège de l’agence à Londres, en 2017, qui bénéficie, en retour, de la plus grosse maquette), et écrit une bonne partie des textes de présentation. Autant dire qu’il a pris les commandes. Et ce n’est pas sans conséquence. Au crédit de l’exposition, son caractère extraordinairement excitant, sa scénographie d’attraction foraine, reflet du rapport jouissif de l’architecte à sa pratique.
Validation symbolique
Le parcours commence par une plongée dans l’esprit du créateur, une antichambre saturée de ses dessins – carnets de croquis qu’il remplit par centaines depuis l’adolescence, coupes et élévations de ses projets les plus marquants… –, et des photos d’architecture qu’il prend partout où il va, depuis soixante ans, comme on prend des notes. A la figure du manageur communicant, champion de l’architecture high-tech (tendance de l’architecture qui consiste à importer dans n’importe quel type de bâtiment des matériaux et dispositifs propres au secteur industriel, dont le Centre Pompidou est notamment un des fleurons), l’exposition substitue celle de l’artiste au travail, et ce faisant, apporte à Norman Foster la validation symbolique qui lui manquait.
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