« La Libraire du Caire », de Nadia Wassef : Diwan, une épopée cairote

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« La Libraire du Caire » (Chronicles of a Cairo Bookseller), de Nadia Wassef, traduit de l’anglais par Sylvie Schneiter, Stock, « La cosmopolite », 360 p., 22 €, numérique 16 €.

C’est une histoire de lettres qui commence par des chiffres. « En 1981, lorsque des membres des Frères musulmans ont assassiné Anouar El-Sadate, et que son vice-président Hosni Moubarak a pris le pouvoir, j’avais 7 ans. En 2011, lorsque Moubarak a été destitué, j’avais dix librairies, cent cinquante employés, deux masters, un ex-mari (Numéro Un), un second mari (Numéro Deux), deux filles et 37 ans. » Ainsi débutent ces « chroniques d’une libraire », le récit de la douzaine d’années que l’autrice égyptienne Nadia Wassef a consacrées à Diwan, l’enseigne de librairies qu’elle a créée au Caire, en 2002, avec sa sœur, Hind, et leur amie Nihal Shawky. Douze années d’une lutte épuisante pour ces jeunes femmes de bonne famille lancées dans un pari qui devait révolutionner le commerce du livre en Egypte et transformer Nadia Wassef.

Là est l’intérêt de ce texte foisonnant, habilement présenté sous forme de chapitres dont les titres correspondent aux principales sections de la librairie. Tout en évitant la linéarité d’un récit chronologique, Nadia Wassef tantôt emmène son lecteur dans les méandres de la bureaucratie nationale, tantôt le prend à témoin de ses démêlés avec ses employés, ou encore lui confie ses affres personnelles de femme et de mère. Ainsi, le chapitre « Essentiels d’Egypte » (des livres en langues européennes destinés à la clientèle étrangère) nous vaut des pages fortes sur la manière dont les Européens continuent de s’approprier l’histoire et le patrimoine égyptiens, mais aussi sur l’aliénation des enfants de l’élite, coupés de leur langue et de leur culture par leur éducation dans des ­écoles internationales.

Tout aussi évocatrice, au chapitre « Classiques », la discussion sur Les Mille et Une Nuits, que Nadia Wassef a placé dans ce rayon, ce qui n’est pas du goût de certains de ses lecteurs et de ses ­vendeurs, pour qui ce livre relève de la pornographie. A telle enseigne que, lorsqu’elle déclare à un client, « un homme distingué d’un certain âge » qui porte « la longue tunique blanche des Arabes du Golfe », que c’est là son livre arabe préféré, l’homme lui fait remettre un billet sur lequel il a griffonné le numéro de sa chambre d’hôtel.

Un service rarissime dans l’espace public cairote : des toilettes propres

Auparavant, c’est par un chapitre intitulé « Le café » que s’est ouvert le livre : l’originalité et le succès de Diwan tiennent au fait que ses créatrices en ont fait quelque chose de plus qu’une librairie. Un « tiers-lieu », écrit Nadia Wassef, citant le sociologue américain Ray Oldenburg, particulièrement accueillant pour les femmes, qui y trouvent un service rarissime dans l’espace public cairote : des toilettes propres. « En outre, avec ses murs tapissés de livres, le Café formait une barrière de fortune entre les femmes et leurs harceleurs, des hommes qui savaient que nous, les femmes de Diwan, ne tolérerions pas leur hostilité. » Car ce récit d’une aventure intellectuelle et entrepreneuriale est aussi celui d’une femme qui ne manque jamais l’occasion de rappeler comment, dans le monde des affaires comme dans celui de la culture, la femme égyptienne est sommée de faire ses preuves avant d’être un peu prise au sérieux.

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