L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
C’est un cinéma qui se fait rare, celui qui s’en remet aux puissances du secret, du doute et du non-dit, plutôt qu’aux prestiges de l’image ou à la force de frappe d’un sujet. Le deuxième long-métrage de Christine Dory, après Les Inséparables (2008), est précisément de celui-ci, qui mise sur la complicité du spectateur, comme sur sa capacité à se projeter dans les interstices d’un récit.
Pour cela, la réalisatrice investit la chronique de fait divers, un domaine bien connu, longtemps l’apanage d’un Claude Chabrol (Violette Nozière, Les Noces rouges, La Cérémonie), jamais meilleur que lorsqu’elle se glisse dans les angles morts de la France profonde, redessinant une carte atroce du pays. C’est même dans une émission de télévision, de celles qui prolifèrent sur un tel créneau, que la réalisatrice confie avoir pris connaissance du cas criminel dont elle s’est librement inspirée, survenu vers Nice et relocalisé, pour les besoins du film, dans le bassin industriel du Grand-Est.
Une adolescente de 16 ans, Rosemay (Galatea Bellugi), attend devant la gare de Metz son père, qui ne viendra jamais la chercher. Dans la maison familiale, elle assiste au départ précipité de son grand frère, Manuel (Matthieu Lucci), puis se retrouve seule avec sa mère, Marga (Emilie Dequenne). Au sujet du père évaporé, cette dernière élabore des réponses controuvées, évasives et incohérentes, et se montre avant tout soucieuse que rien ne s’ébruite au-dehors, n’hésitant pas pour cela à enfermer sa fille à clé.
Les vacances achevées, Rosemay revient auprès de ses parents adoptifs (Romane Bohringer et Samir Guesmi), dans une ferme aux animaux où elle prend soin d’un beau cheval pie. Mais l’inquiétude ne l’a pas lâchée, et voilà qu’elle s’active de son côté, malgré toute son inexpérience, signalant la disparition de son père auprès des services de police, se fendant même d’une lettre au procureur de la République.
Suspicion insistante
La Fille d’Albino Rodrigue dresse ainsi le portrait non seulement de l’adolescente, mais, à travers elle, d’une suspicion assez insistante pour faire plier une réalité mensongère, bâtie de toutes pièces. Ce qui intéresse en premier lieu la caméra, c’est, chez cette jeune fille sous-qualifiée, presque illettrée, mal partie dans la vie, la défiance inébranlable et la certitude chevillée au corps qui lui permettent de remonter aux sources d’un crime. S’agit-il d’instinct, des liens du sang qui parlent à travers elle ? Non, car il se dessine, dans le profil en creux du disparu, ferrailleur et brocanteur de son état, tout sauf celui d’un bon père (« mais c’était mon père », dira quand même Rosemay).
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