Dos à dos, deux Honda gris métallisé s’effleurent du bout de leur carénage devant une série de quatre posters montrant deux jeunes Japonais sur le point de s’embrasser. Ainsi débute la « fausse rétrospective » que le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Corsica, installé à Corte, consacre à l’enfant du pays, Ange Leccia. L’exposition porte le nom de cette installation de 1988 : Je veux ce que je veux, qui était partie en fumée lors de l’incendie qui avait ravagé les réserves du FRAC en 2001. Les Honda d’origine étaient rouges ; en recomposant l’œuvre en 2003, l’artiste a intégré des modèles de l’année. L’œuvre, ainsi datée 1988-2003, est en réalité la seule pièce historique de l’exposition, qui « emprunte la voie de la rétrospective pour dessiner des chemins de traverse », comme le résume son commissaire, Fabien Danesi, le directeur des lieux.
Ange Leccia avait réalisé cette œuvre à Tokyo, où il était invité par l’université, comme un écho au Baiser qui l’avait révélé quelques années auparavant, où deux projecteurs s’entre-illuminaient, image de la sidération amoureuse. Cette fois, le baiser était humain, et en contraste avec les motos se tournant le dos, créant une tension entre vitesse et suspens, machine et organique, élan amoureux et rejet, ready-made duchampien et répétition warholienne d’une image publicitaire, façon pellicule de cinéma.
L’aspect rétrospectif est ici surtout inhérent aux pièces récentes, « où le souvenir n’a rien d’un objet inerte ». Depuis une dizaine d’années, Ange Leccia filme moins, mais puise davantage dans ses archives accumulées pour les remonter autrement. « C’est un artiste qui a été à contre-courant depuis les années 1970. Il n’a jamais eu peur de l’affect et a toujours apporté une dimension d’émotion dans ses œuvres, en captant la fraîcheur de l’instant au cœur de la vie, même à partir de motifs parfois éculés, comme un reflet dans la mer ou un coucher de soleil, et je voulais montrer qu’il a réussi à toujours renouveler l’émotion. Sans grandiloquence ni académisme, et toujours entre figuration et épure », poursuit le commissaire. Le pari est joliment relevé.
Vibration de la lumière
Après Lunes (2019), accumulation de lunes lumineuses posées au sol et démultipliées par deux grands miroirs placés en coin, comme une couveuse d’astres à la croisée entre art minimal et sériel, on peut visionner Poussières d’étoiles (2017), autre acquisition récente du FRAC et vidéo emblématique de la dernière période de l’artiste, avec écrans partagés et montages non linéaires. Six écrans explorent l’énergie amoureuse à travers un flirt abstrait tout en crépitements, où l’on croise le regard de Jeanne Moreau comme le Concorde.
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