On peut disparaître il y a un siècle et, un siècle plus tard, faire la « une » de l’actualité culturelle comme si le décès datait de l’avant-veille. Morte le 26 mars 1923 à l’âge de 78 ans, Sarah Bernhardt épate les visiteurs de l’exposition que lui consacre, à Paris, le Petit Palais, comme elle a fasciné, en son temps, ses contemporains.
La tragédienne sortait de l’ordinaire. Elle est l’actrice devant qui s’est agenouillé l’immense Victor Hugo, l’aventurière qui a conquis les Américains en déclamant, sous chapiteau, l’alexandrin racinien, et la défunte dont le cercueil fut suivi par 400 000 personnes. Une foule si dense, rapporte Stéphanie Cantarutti (l’une des commissaires de l’exposition) qu’en visionnant le film noir et blanc de ses obsèques, projeté dans une salle du musée, des spectateurs s’exclament : « On dirait l’enterrement de Johnny Hallyday ! »
Elles ont beau ne pas être nationales, les funérailles de l’interprète de Phèdre et de L’Aiglon sont à la mesure de sa démesure. Cinq chars recouverts de fleurs, une impressionnante procession dans les rues de Paris, un arrêt solennel devant le Théâtre des Nations, qu’elle a dirigé et rebaptisé de son nom, la présence en grand apparat du ministre de l’instruction publique, du directeur des beaux-arts, du préfet de police, ou d’officiers militaires qui rendent les hommages à l’Officier de la Légion d’honneur. Enfin, cerise sur le gâteau, ce hurlement d’une jeune fille qui, paraît-il, brise le silence au cimetière du Père-Lachaise : « Les Dieux ne meurent pas. »
Tempérament de feu
Vrai ou faux cri du cœur ? Avec Sarah Bernhardt, l’exactitude des faits est une notion bien relative. Difficile de distinguer la fiction de la réalité : la femme a disparu sous la légende, cet animal affamé dont l’appétit est insatiable. Surnommée « la voix d’or » par Victor Hugo, qualifiée de « monstre sacré » par Jean Cocteau, intronisée « Notre-Dame du théâtre » par Sacha Guitry, la « Divine » s’est elle-même employée à exciter les imaginaires et alimenter les fantasmes. Tant et si bien, regrette Claudette Joannis, autrice d’un portrait étoffé dont une édition revue et augmentée vient de sortir en poche aux éditions Payot (Sarah Bernhardt, 238 pages, 9 euros), qu’« on raconte n’importe quoi sur elle ».
Ancienne conservatrice en chef du patrimoine et fondatrice du groupe « costume » à la Bibliothèque nationale, la spécialiste clarifie : « Contrairement à ce qu’affirme la rumeur, elle ne s’est jamais fait greffer de queue de tigre et n’a jamais eu de jambe de bois. Elle vivait comme vivaient à l’époque certains de ses contemporains. Elle n’échappait pas à la mode. Mais à la différence des autres, elle était toujours à l’extrême de tout. »
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