« La Chronique des Bridgerton » : fini les corsets sur les tournages de la série de Netflix

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Plus question pour les héroïnes de La Chronique des Bridgerton de se voir imposer un objet qui gaine leur corps et dont elles ont paradoxalement favorisé l’effet de mode. La production de la fiction à succès de Netflix – qui propose une truculente plongée dans le quotidien de jeunes filles de la haute société britannique à l’époque de la Régence – a fait savoir que le port du corset ne serait désormais plus obligatoire pour ses actrices. Elles apparaîtront donc décorsetées dès la saison 3 de la série d’époque, qui doit être diffusée sur la plate-forme d’ici la fin d’année.

La comédienne Simone Ashley, qui incarne le premier rôle dans la deuxième saison, s’en est félicitée début février dans une interview au quotidien britannique The Times, affirmant : « Heureusement, on a maintenant le droit de porter des soutiens-gorge à la place, et ça a tout changé pour moi. Je peux faire une journée de douze heures et me sentir à l’aise. » Et pour cause : la décision est une conséquence directe des critiques émises ces derniers mois par les actrices de la série au sujet de l’inconfort et des risques causés par le port de cet accessoire historique, dont l’objectif est d’affiner le buste des femmes en serrant leur taille.

« Maintenir les femmes dans un corset serré pendant des semaines causaient des problèmes de santé et de sécurité (…) De nombreuses stars ont rapporté des ecchymoses et même des problèmes respiratoires », reconnaît la production pour expliquer sa décision, dans des propos rapportés par le tabloïd The Sun. En mars 2022, Simone Ashley avait justement été la première actrice de la production à dresser la liste des griefs adressée à l’encontre de l’objet vestimentaire né au XVIe siècle devenu costume, dans un entretien au magazine Glamour :

« J’ai compris que, lorsque vous portez le corset, vous ne mangez tout simplement pas. C’est impossible. Cela change votre corps. J’avais une taille plus petite très momentanément. Puis, à la minute où tu arrêtes de le porter, tu retrouves ton corps tel qu’il est. J’avais aussi beaucoup de douleurs, et je pense que je me suis déchiré l’épaule à un moment donné ! »

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Un an plus tard, dans The Times, l’actrice de 27 ans ajoute : « Les corsets poussent tout jusqu’au bas de votre estomac. Ce qui veut dire que, quand tu les enlèves, tu as une petite bosse. Je détestais porter ces corsets en filmant Bridgerton. Ils sont si beaux, mais je les déteste ! »

Organes déplacés et difficultés à respirer

Avant les héroïnes de Bridgerton, plusieurs actrices avaient déjà partagé leur expérience du port de ce costume qui contraint les corps et le jeu, quand bien même elles en soulignaient aussi parfois les bénéfices – au service de la posture et de la véracité historique de certains récits.

En 2019, voilà qu’en pleine promotion du film La Favorite, qui vient de sortir sur les écrans, l’actrice américaine Emma Stone, qui y incarne le second rôle, évoque avec sarcasme l’enfer que lui a fait vivre cet accessoire durant le tournage, sur le plateau d’un talk show de la BBC :

« Est-ce que quelqu’un a déjà porté un corset ? Tu ne peux vraiment pas t’asseoir (…) Pendant le premier mois, je ne pouvais pas non plus respirer ! Je sentais du menthol pour me donner l’impression d’être dans un large espace ouvert pendant trente secondes, puis j’en revenais à ne pas pouvoir respirer. Après un mois environ, mes organes se sont déplacés. Ce n’était que temporaire, mais c’était dégoûtant ! »

Emma Stone dans le film « La Favorite », de Yorgos Lanthimos.
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L’actrice française Cécile de France, qui s’est pliée au port du corset pour incarner le rôle principal du long-métrage Mademoiselle de Joncquières, sorti en 2018, déclarait de son côté, à l’époque et de manière plus feutrée, au quotidien 20 Minutes, combien les corsets « symbolisent » en un objet une époque tout entière où les femmes étaient cantonnées à des « rôles très réducteurs », en raison du fait qu’« on ne peut pas respirer là-dedans ». Quant à l’actrice américano-allemande Kirsten Dunst, qui a incarné une Marie-Antoinette rock dans le film du même nom sorti en 2006, elle a tout simplement fait valoir, au micro d’Associated Press, dix années plus tard : « Je déteste les corsets. Ça n’a rien de plaisant, surtout pendant de longues périodes de tournage. »

C’est pour toutes ces raisons, et aussi pour rendre l’héroïne de Disney plus moderne en lui rendant sa liberté de mouvement, que l’actrice britannique et figure féministe Emma Watson a, elle, catégoriquement refusé de porter un corsage dans la nouvelle version cinématographique de La Belle et la Bête, sortie sur grand écran en 2017.

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« Se poser la question du vêtement montre bien que le féminisme est un geste esthétique »

« Dans le monde de plus en plus woke d’aujourd’hui, ce n’est pas non plus une bonne chose que d’encourager les femmes à avoir une taille plus fine », ajoute en ce sens la source de la production de Bridgerton citée en off dans les colonnes du Sun, pour justifier la liberté accordée aux actrices de la série. La production, qui se revendique comme progressiste, embrasserait ainsi par ce geste les aspirations de son époque.

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Bérénice Hamidi, professeure en études théâtrales à l’université Lyon-II et spécialiste des représentations culturelles, estime justement que « cette décision de la production de Bridgerton n’est en rien anecdotique ». « Elle manifeste un double questionnement, à la fois sur les conditions de travail des actrices et sur les liens entre la façon dont on crée et les représentations qu’on produit. Ces questions traversent le monde culturel depuis l’éveil féministe de #metoo : faut-il souffrir pour être belle et pour créer, ou peut-on créer et être désirable sans souffrir ? », avance la chercheuse.

Phoebe Dynevor en tant que Daphne Bridgerton dans le département des costumes de la série « La Chronique des Bridgerton ».

Selon elle, « se poser la question du vêtement, en l’occurrence du corset, monte bien que le féminisme est un geste esthétique autant que politique, qui transforme et renouvelle nos représentations et notre imaginaire ». Mme Hamidi juge de ce point de vue la série Bridgerton « passionnante car porteuse de messages contradictoires », avec d’un côté « sa dimension inclusive assumée et sa dénonciation des conventions de l’époque pesant sur les vies et les corps des femmes du côté des personnages », et de l’autre, « la persistance d’une érotisation de corps féminins ultra-stéréotypés incarnés par le corset, qui gonfle la poitrine et rétrécit la taille, [et dont le port était] jusqu’ici obligatoire pour les actrices » de la série.

Les sceptiques face à l’annonce de la fin du corset sur les plateaux de la série, souvent fins connaisseurs de l’histoire du vêtement, notent de leur côté que rien dans la temporalité dans laquelle la série est censée se dérouler – début XIXe siècle – n’imposait de faire porter dès le début aux actrices des corsets « longs » – plus contraignants et donc potentiellement douloureux –, aperçus à l’écran, qui ne correspondent en rien à la période historique. Mais la série produite par Shonda Rhimes pour Netflix a toujours assumé de ne pas s’imposer un souci du réalisme, pour se permettre plus de liberté en mélangeant les codes et styles.

« Dès le premier épisode, il est évident que l’on regarde une série d’ambiance historique non réaliste », acquiesce Myriam Fouillet, doctorante en études cinématographique, spécialiste de l’histoire du costume au cinéma. « L’esthétique fantaisiste qui y est déployée sert à faire passer un message à un public moderne. La créatrice de costumes utilise des codes que connaissent les jeunes générations pour nourrir le récit et souligner les caractères des personnages. Par exemple, les robes de la famille Featherington révèlent la nature excessive de la matriarche, Lady Portia, par leurs couleurs criardes, le trop-plein de motifs et la profusion d’ornements, qui ne respectent en rien les conventions de l’époque de la Régence. » Raison de plus pour que le corset, bien que réinventé comme accessoire de mode ces dernières années, soit abandonné sans regret par la production et les héroïnes de la série.

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