Il y a des « oh » d’ébahissement, des « ah » d’admiration, des souffles et des soupirs, du silence et les glouglous sereins d’une fontaine. Cette façon innée de faire circuler des bulles de vie pour laisser respirer sa danse signe le geste de Dominique Bagouet (1951-1992), figure de la scène contemporaine des années 1980. Dans Necesito, pièce pour Grenade, créée en 1991, un an avant la mort de l’artiste, une inefficacité rêveuse se répand entre les neuf danseurs. Une bande de touristes perdus dans l’Alhambra se transforment soudain en personnages de bande dessinée échappés des murs millénaires.
Sur le fil de cette « pièce de vacances », comme l’avait baptisée Bagouet, on peut voir « une reine en extase, un émir qui pleure, une infante qui rêve, un torero poltron… » Mais, tout simplement, des silhouettes burlesques croquées en deux coups de chaussons par le malicieux chorégraphe qui savait conjuguer gravité et légèreté sans se tordre les pieds.
Ce spectacle aux humeurs changeantes a ouvert, vendredi 10 mars, au Perreux-sur-Marne, la Biennale de la danse du Val-de-Marne, qui se déroule jusqu’au 6 avril dans vingt-cinq salles et villes partenaires du département. Sa présentation est un événement. Il a été remonté en 2022 pour la première fois, dans le cadre du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il sera diffusé dans différents théâtres, soulignant le pan historique de la 22e édition de l’événement dirigé par Sandra Neuveut. « L’écriture de Bagouet, avec son souci du détail dans la multiplicité des corps, ne se retrouve plus aujourd’hui sur scène et manque, confie-t-elle. Sa disparition a marqué une rupture esthétique, car elle est survenue au moment de l’hécatombe du sida. Ça a été par ailleurs l’un de mes premiers émois, lorsque j’étais étudiante à Montpellier, et cela reste inoubliable. »
Passage de relais
Dans un programme varié où la diversité porte les noms d’artistes portugais, comme Tania Carvalho et Marco da Silva Ferreira, ou du Brésilien Volmir Cordeiro, la question du passage de relais joue sur différentes époques et esthétiques. Parallèlement à Necesito, pièce pour Grenade, le best-seller irréductible Dance, conçu en 1979 par la star américaine Lucinda Childs, partenaire de Bob Wilson, est à l’affiche.
Dans un autre registre, plus performatif, la Sud-Africaine Robyn Orlin a confié les clés de son premier solo, créé en 1994, à New York, In a Corner the Sky Surrenders… à la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré, qui a, elle, transmis une partie de son spectacle, Legacy (2014), à une dizaine de femmes amatrices. « J’aime l’idée que la biennale fasse lien entre les pièces et les générations différentes d’artistes, de spectateurs et d’amateurs, ajoute Sandra Neuveut. C’est notre responsabilité de partager de grandes œuvres pour les conserver vivantes. »
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