Jacques Tardi, anarchiste et bédéaste : « Etre militaire était, à mes yeux, le comble de la médiocrité »

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A 77 ans, Jacques Tardi continue de confectionner des bandes dessinées dans son atelier parisien qu’il quitte rarement. Créateur d’Adèle Blanc-Sec et auteur de nombreux albums sur les deux guerres mondiales, cet anarchiste reste attaché à sa liberté d’expression. Il est rétif à toute récupération et refuse plus que jamais les médailles et les honneurs pour n’être redevable à personne.

Je ne serais pas arrivé là si…

… S’il n’y avait pas eu un portrait de Marianne au fusain, estompé à la peau de chamois, accroché dans la chambre de mes grands-parents, dans un quartier de Valence. Je vivais chez eux parce que ma mère était malade et que mon père, militaire de carrière, avait rejoint les troupes de stationnement en Allemagne après la seconde guerre mondiale. Ce dessin hyperréaliste me fascinait. J’imagine que ma grand-mère l’a exécuté quand elle était à l’école, dans les années 1890, à partir d’un buste de Marianne emprunté par son institutrice à la mairie. Tout commence là, avec cette grand-mère qui dessine un peu, m’achète des crayons de couleur et ne s’oppose pas à ce que je lise les fascicules de bande dessinée de la maison d’édition Artima. Les héros s’appelaient Ardan, Toni Cyclone, Vigor, Ouragan, Tarou fils de la jungle…

Votre grand-père, un ancien poilu, a également joué un rôle déterminant…

Je l’ai peu connu, car il est mort quand j’étais très jeune. Je me souviens qu’il devait prendre des comprimés, car il avait été intoxiqué à l’ypérite pendant la première guerre mondiale. Après sa mort, ma grand-mère m’a raconté qu’une nuit, alors qu’il était de corvée de soupe et qu’il regagnait sa tranchée, des fusées éclairantes avaient embrasé le ciel, au point d’y voir comme en plein jour. Il s’était alors jeté à terre et était tombé les deux mains en avant dans le ventre d’un mort. Cela m’avait énormément impressionné. C’est le point de départ de mon intérêt pour la guerre de 14-18.

Votre grand-mère n’était pas la seule à dessiner. Son fils aussi, votre père, dessinait…

Oui, mais seulement dans le but de mieux expliquer ce qu’il n’arrivait pas à exprimer à l’oral. Le dessin était technique pour lui et devait apporter de la précision – une caractéristique dont j’ai hérité par la suite. Il dessinait des tas de bagnoles, c’était tellement abrutissant qu’il m’a découragé de l’automobile. Il m’emmenait faire des tours avec sa Peugeot 203 et piquait des colères dès que je faisais craquer les vitesses. Résultat, je n’ai jamais passé mon permis de conduire !

Comment vos parents ont-ils vécu votre choix de suivre des études artistiques ?

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