« Incroyable mais vrai », sur OCS Pulp : voyage en absurdie avec Quentin Dupieux

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OCS PULP – MERCREDI 15 MARS – 21H00 – FILM

Quentin Dupieux est en train d’inventer, au cœur du cinéma français, un créneau improbable, une nouvelle comédie pataphysique. La filmographie de ce réalisateur multicasquette s’est cristallisée dans une formule qui consiste à combiner une courte durée avec un concept explosif, à haut potentiel d’absurdité, oscillant entre la fable surréaliste et le sketch parodique, la série B excentrique et une fumisterie potache assumée comme vitesse d’exécution – on citera, à titre d’exemples, Le Daim (2019) et sa veste à franges dictant des pulsions meurtrières à qui la porte, ou encore Mandibules (2020) et sa mouche géante dressée par deux abrutis.

Incroyable mais vrai en est le dernier spécimen. Tout, ici, tourne autour d’un trou, un conduit bête comme chou pratiqué dans le cellier d’une maison. Aux dires de l’agent immobilier qui la fait visiter, celui-ci constitue le « clou » du pavillon qu’hésitent à acheter Alain et Marie (Alain Chabat et Léa Drucker), un couple banal sous tous rapports, d’âge mûr et sans enfant. Et pour cause, puisque le puits n’abrite rien de moins qu’un vortex spatio-temporel. Qui y descend débouche non seulement à l’étage, mais est propulsé douze heures plus tard et rajeuni de trois jours.

Flairant là une vague aubaine, le ménage s’installe. Alain, agent d’assurances avec un gros poil dans la main, se désintéresse vite de ce passage saugrenu, mais Marie, rêvant de retrouver sa prime jeunesse, s’y laisse absorber par blocs de douze heures, délaissant de plus en plus le foyer.

Gouffre au rôle de révélateur

Le premier ressort comique du film vient de cette drôle de friction entre l’ordinaire le plus plat et l’extraordinaire comme posé en plein milieu. Du trou et de son dispositif aberrant, digne des constructions impossibles de l’artiste Maurits Cornelis Escher, Dupieux ne fait pas un exhausteur de fiction, mais s’amuse au contraire à en souligner le caractère inutile, inopérant.

Le gouffre joue le rôle de révélateur, en exposant le néant sur lequel repose la vie conjugale des deux partenaires. Le vortex ne mène nulle part, il fonctionne donc en circuit fermé – l’image du trou renvoyant, bien sûr, à l’inconscient du propriétaire gisant sous la maison fraîchement acquise. Si le conduit agit pourtant bel et bien, c’est d’abord comme agent perturbateur, qui accentue ainsi les termes du quotidien : cette répétition butée et mécanique, ce retour du même qui fait de la vie domestique bornée une sorte de toboggan vers la mort.

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Dans un dernier mouvement ébouriffant, le film accélère et épuise les destinées catastrophiques des personnages, qui filent tous vers leur propre mort. Ainsi la farce selon Dupieux conserve-t-elle toujours un fond horrifique, une part morbide. A la fin, c’est à Luis Buñuel, maître ès surréalisme, que le film renvoie, en citant un plan célèbre d’Un chien andalou (1929) : une main envahie de fourmis, concentré d’angoisse et de désir qu’on laissera à l’inconscient de chacun le soin de démêler.

Incroyable mais vrai, de Quentin Dupieux. Avec Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel, Anaïs Demoustier (Fr., 2022, 74 min).

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