« Histoire de ma peau » (La piel), de Sergio del Molino, traduit de l’espagnol par Eric Reyes Roher, Le Sous-sol, « Feuilleton non-fiction », 320 p., 22,50 €, numérique 16 €.
Observer, non pas son nombril, mais sa peau : c’est ce à quoi s’attache l’écrivain et journaliste espagnol Sergio del Molino dans Histoire de ma peau, son premier livre traduit en français. Moins pour composer une autobiographie dermatologique que pour réfléchir à ce que notre enveloppe nous enseigne lorsqu’elle est imparfaite, douloureuse et soumise au regard d’autrui.
Atteint de psoriasis chronique depuis ses 21 ans, l’auteur sait ce qu’il en coûte de devoir vivre avec une affection cutanée qui le handicape autant qu’elle lui fait honte. Ce sont toutes ces sensations qu’il exprime ici, des premières éruptions et démangeaisons au soulagement tardif grâce à la découverte d’un traitement enfin adapté.
Entre ces deux étapes, distantes de près de vingt ans, l’écrivain a eu le temps de penser la pathologie. C’est la figure du monstre qu’il interroge tout d’abord, s’identifiant sans mal à la sorcière des contes de Roald Dahl qu’il lit à son fils, notant que cette dernière est devenue un personnage familier qui suscite l’empathie. Mais si tel est le cas, d’où vient cet embarras permanent que ressentent les malades ?, s’interroge-t-il. Embarras qui les pousse, comme il le fait lui-même, à dissimuler leur affection ?
Personnages illustres
Une grande partie des treize textes de ce livre hybride, mélange malin de récit personnel et historique, de fiction et d’essai, mettent finement au jour cette ambiguïté fondamentale. Mais son expérience de malade chronique, Sergio del Molino la met aussi en regard de celle de personnages illustres : John Updike, Vladimir Nabokov, la chanteuse Cyndi Lauper et même Joseph Staline. Ce dernier, selon lui, n’aurait pas été si sanguinaire sans son psoriasis. N’a-t-il pas fait assassiner son compagnon Sergueï Kirov, le seul homme à l’avoir vu nu dans son bain ? Or cette mort, prélude à tant d’autres, fut celle qui, en 1934, inaugura l’ère des grandes purges. L’explication est un peu tirée par le derme, mais sous la plume alerte de l’auteur, littérairement convaincante.
Quant à John Updike, il avait pour habitude d’aller brûler son psoriasis sous le soleil d’une île des Caraïbes, raconte Molino dans un savoureux récit romancé. L’écrivain new-yorkais n’avait jamais fréquenté de Noirs avant de rencontrer une bibliothécaire locale, dont il tomba amoureux. Sa peau à elle aussi était différente des autres. Est-ce cela qui les a rapprochés ?
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