Festival d’automne : le répertoire contemporain sur un nouveau tempo

0
22

Constituer un répertoire contemporain en réactivant sur scène des œuvres créées il y a un, deux ou dix ans : cette impulsion est venue des danseurs et chorégraphes, Pina Bausch en tête, qui n’ont eu de cesse de rejouer, à intervalles plus ou moins réguliers, certaines de leurs œuvres. Puis le théâtre a pris le relais dans un mouvement suivi de près par le Festival d’automne, qui entérine définitivement la tendance en consacrant, dans sa brochure, plusieurs pages à la reprise de spectacles nés sous son aile. « Il ne s’agit pas seulement de lister des programmes mais de valoriser notre répertoire et d’assumer ce geste au sein d’un festival qui s’intéresse pourtant aux nouvelles formes », explique Francesca Corona, directrice artistique du festival.

Loin d’elle l’envie de dénaturer la vocation d’une manifestation qui, depuis 1972, bouscule tout ce qu’on croit savoir en matière d’innovation. Le Festival d’automne reste le lieu de l’irruption du jamais-vu. Mais ce temple de la fidélité, qui réitère volontiers ses invitations à des créateurs aimés, veut aussi devenir un lieu de mémoire. Pas un musée de conservateurs sortant de leurs tiroirs des archives poussiéreuses, mais l’endroit vivant où passé immédiat, présent et futur proche nouent des alliances, qui vont dessiner « une cartographie plus complexe et ambitieuse », selon la directrice.

Francesca Corona milite donc pour un mélange sans hiérarchie de l’ancien et du récent : « Automne est capable de suivre les évolutions d’un artiste tout en le faisant apparaître dans une constellation de créateurs différents. C’est une façon de le repositionner et de réagencer les rapports entre les œuvres. C’est aussi une manière de voyager avec les metteurs en scène, les performeurs, les plasticiens ou les chorégraphes, de vérifier les changements du monde tout autour ainsi que ceux d’un public dont les goûts ou les désirs se transforment. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Francesca Corona : « Le Festival d’automne est un mégaphone incroyable »

Même si l’association des deux mots « répertoire » et « contemporain » a des airs d’oxymore (le premier terme renvoyant à un corpus qu’on imagine classique voire patrimonial), la directrice ne voit, dans ce pas de deux, aucune contradiction : « Les spectacles qui se fabriquent sous nos yeux constituent le répertoire du futur. Nous devons être conscients que tout ce qui s’élabore aujourd’hui est voué, tôt ou tard, à appartenir à l’histoire. »

« La pandémie a brouillé les règles »

Entrent donc dans l’histoire, grâce à l’édition 2023 du Festival d’automne, onze œuvres déjà montrées en son sein et qui reviennent faire un tour de piste sous le regard d’un autre public. Parmi les heureux élus, figurent Jérome Bel avec tg Stan, Nacera Belaza, Nicolas Bouchaud et Eric Didry, Fanny de Chaillé, Lionel Dray, François Gremaud, Nach, François Tanguy, Gisèle Vienne. Ainsi que Camille Dagen, dont le projet, Durée d’exposition, a vu le jour en 2018 : « Il est fondateur de ma compagnie Animal Architecte. Dès l’origine, nous nous disions qu’il serait drôle de le reprendre en étant très âgés », souligne la metteuse en scène. Elle avait 25 ans à l’époque. Elle en a cinq de plus désormais. C’est bien assez pour prendre la mesure du temps qui a passé et vérifier ce qui lui a (ou pas) résisté : « Je vois dans certaines séquences une forme de simplicité ou de naïveté », sourit Camille Dagen, qui conjure les risques de péremption en réécrivant, à chaque reprise de jeu, une partie de Durée d’exposition. « C’est un objet qui accueille la modification. Il bouge dans le corps-à-corps avec les acteurs, ce qui lui donne une sorte de juvénilité permanente. »

Lire aussi : Au Festival d’automne : une édition à l’esprit de famille

Comment vieillit un répertoire contemporain ? Que raconte-t-il de la métamorphose des esthétiques ? Que dit-il, enfin, d’une époque où des représentations, élaborées pendant des mois, ont bien souvent la durée de vie d’un mouchoir jetable ? « Consacrer autant de temps à une création pour qu’elle soit si vite jetée hors des scènes est absurde. L’écosystème du théâtre est à repenser. Les subventions sont souvent liées à la production. Il faut toujours fabriquer du nouveau. Le système est régi par ces mauvaises habitudes. Mais, depuis le Covid-19, les perceptions ont changé. La pandémie a brouillé les temporalités et bouleversé les règles. On ne considère plus de la même manière ce qui relève du vieux et du neuf », constate Francesca Corona.

Avec deux spectacles cooptés – Une autre histoire du théâtre et Le Chœur – Fanny de Chaillé espère que cette affirmation d’un répertoire à Automne permettra de poser la question de l’obsolescence des pièces : « On nous demande de créer à un rythme affolant au moment où il faudrait ralentir le mouvement. Or, ne pas produire tous les ans n’a rien de grave. Je n’ai pas besoin de faire plus que ce que je fais déjà. » Certaines de ses pièces n’ont jamais cessé de tourner. Elle les suit une à une. Ce qui implique une logistique rigoureuse et la disponibilité des interprètes. Fanny de Chaillé gère donc les agendas et maintient sur le gril des spectacles qui « ont encore quelque chose à dire ». L’affaire n’est pas de tout repos. Reprendre suppose de retravailler. Le théâtre, même de répertoire, n’est pas un art qui se duplique mécaniquement comme il y va d’une photocopie.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Une autre histoire du théâtre » : à Chaillot, une mise en abyme de l’amour du théâtre, vivante et ludique

Une autre histoire du théâtre. Conception et mise en scène : Fanny de Chaillé. La Faïencerie à Creil, le 12 octobre ; Les Passerelles à Pontault-Combault, le 14 octobre.

Le Chœur. Conception et mise en scène : Fanny de Chaillé. Points Communs/Théâtre 95 à Cergy, les 17 et 18 octobre.

Durée d’exposition. Conception et mise en scène : Camille Dagen. Théâtre 13/Bibliothèque à Paris, du 20 au 22 décembre.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Festival d’automne à Paris.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici