Dans l’immensité ocre et rouge d’Al-Ula, sorte de Grand Canyon qui s’étend de la frontière jordanienne à la mer Rouge, au nord-ouest de l’Arabie saoudite, comme dans les nouveaux quartiers de Riyad, Djedda ou sur l’île d’Amaala, Français et Anglo-Saxons se livrent à une sourde bataille d’influence pour décrocher les contrats. Tout en cherchant à ne pas donner l’impression de se vendre à une monarchie absolue qui réprime violemment toute opposition.
Seul Français à avoir siégé dans le comité consultatif de la Commission royale pour Al-Ula, aux côtés de l’ancien premier ministre italien Matteo Renzi et d’Allan Schwartzman, ex-cadre dirigeant de Sotheby’s, Jack Lang excelle dans l’exercice. « Je ne suis pas propagandiste, se défend le président de l’Institut du monde arabe, mais les Saoudiens ont la même détermination culturelle qu’avait la France de Mitterrand dans les années 1980. » Un mantra que partage son ex-camarade mitterrandiste Jacques Attali. « L’Arabie saoudite est un pays stratégique, on a tout intérêt à ce que le pays réussisse sa modernisation, ce serait une catastrophe si le pays sombrait dans le chaos », martèle l’économiste qui murmure à l’oreille du prince héritier Mohammed Ben Salman, sans craindre de ternir sa réputation.
L’enjeu est surtout sonnant et trébuchant. La pétromonarchie ambitionne d’ouvrir, d’ici à 2030, plus de 200 musées et d’organiser jusqu’à 400 événements culturels annuels. Et pour nourrir cet objectif gargantuesque, le pays dépense sans compter. Ainsi, le festival Noor Riyadh, organisé en octobre 2022 par Havas Events, a coûté la bagatelle de 8 millions d’euros, soit quatre fois plus qu’une opération comme la Nuit blanche à Paris. Des dizaines de millions d’euros sont aussi investis dans les projets de commandes artistiques sur le site désertique de Wadi Al-Fann, à Al-Ula.
Yasmine Farouk, chercheuse : « L’Arabie saoudite vit et pense en anglais »
Flairant le colossal potentiel, les Anglo-Saxons ont vite pris leurs marques. Ainsi de l’exploitant américain AMC Theatres, qui gère, depuis 2018, le réseau de salles de cinéma saoudien. La très britannique Prince’s Foundation a pris en mains à Al-Ula la formation des artisans et participe à la restauration des vieux quartiers de Djedda. « L’ancrage historique est du côté des Britanniques et des Américains », reconnaît la chercheuse Yasmine Farouk, rappelant que « l’Arabie saoudite vit et pense en anglais ».
« Un dialogue compétitif »
La France a pourtant touché le gros lot avec la signature, en avril 2018, d’un traité bilatéral et la création d’Afalula, l’agence française pour le développement du site archéologique d’Al-Ula, qui œuvre, aux côtés de la Commission royale pour Al-Ula, à transformer les vestiges nabatéens en eldorado de l’Antiquité. Cinq ans plus tard, son président, Gérard Mestrallet, fait valoir la signature de quelque 250 contrats avec les entreprises tricolores, comme le paysagiste Idverde, l’hôtelier Accor, le groupe de conseil Egis ou la célèbre école de cuisine Ferrandi. Mais 30 % d’entre eux sont financés par les 30 millions d’euros qu’Afalula perçoit annuellement des Saoudiens.
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