« Les Romantiques. L’Angleterre à l’âge des révolutions » (The Romantics. England in a Revolutionary Age), d’E. P. Thompson, traduit de l’anglais et édité par Marion Leclair et Edward Lee-Six, Editions sociales, « Histoire », 416 p., 25 €.
Edward Palmer Thompson est l’un de ces auteurs qui continuent de publier après leur mort. En 1997, huit textes écrits entre 1968 et 1993, année de son décès, à 69 ans, avaient été réunis par sa veuve, Dorothy Thompson, dans ce livre aujourd’hui traduit. Le volume, qui respecte le titre du recueil anglais, Les Romantiques, lui ajoute un neuvième essai, consacré à la romancière et philosophe Mary Wollstonecraft. Ces textes relèvent de genres très différents : articles scientifiques, comptes rendus, conférences. Ils auraient dû prendre place dans l’ouvrage qu’E. P. Thompson projetait de publier sur les romantiques anglais qui ont accompagné toute sa trajectoire d’historien, depuis son premier livre consacré en 1955 à William Morris jusqu’à son dernier, sur William Blake (hélas, tous deux non traduits).
Pour Thompson, auteur d’un des livres les plus important du XXe siècle, La Formation de la classe ouvrière anglaise (1963 ; Seuil, 1988, pour la version française), le romantisme n’est pas seulement une esthétique, mais un engagement politique radical, nourri par les idées de la Révolution de 1789 et habité par le sens de la justice, l’authenticité des sentiments et l’exigence d’égalité. A l’aube du XIXe siècle, les premiers romantiques anglais surent énoncer dans une magnifique langue poétique les aspirations et les expériences de leur génération.
Le livre fait une part belle et attendue à Wordsworth et Coleridge et à leurs Lyrical Ballads (1798). Il s’attache aussi à des personnages moins connus, comme le bienveillant mais froid philosophe William Godwin ou le courageux militant John Thelwall. Leurs destinées entrecroisées portent le thème fondamental du livre : le désenchantement. La désillusion ou l’effroi devant les violences de la Révolution en France, la persécution de tous ceux qui critiquaient la monarchie britannique, les divisions politiques et les animosités personnelles ont éloigné les romantiques des espérances de leur jeunesse.
Certains, comme Thelwall, choisirent le retrait dans une vie au village ; d’autres, comme Coleridge, embrassèrent les idées les plus réactionnaires. Le désenchantement se fait alors capitulation, reniement et trahison. Thompson le constate avec amertume : « En Angleterre, la Révolution n’a pas apporté grand-chose d’autre que la défaite de l’un des plus généreux élans que notre culture ait jamais connus. » Ainsi fut rendue impossible une histoire qui aurait pu être, celle du renversement de l’ordre paternaliste par l’alliance entre romantisme jacobin et radicalisme plébéien.
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