« Douglas Sirk, le cinéaste du mélodrame », sur Arte : quand la noirceur se fait flamboyante

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ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE

Dans l’introduction à ses Conversations avec Douglas Sirk, l’historien Jon Halliday rappelle que le cinéaste lui avait dit que le studio pour lequel il avait tourné Tout ce que le ciel permet (1955) avait compris son titre à l’envers. « Pour ce qui me concerne, le paradis est mesquin », commentera sèchement le maître du mélodrame hollywoodien et du pessimisme en Technicolor.

La formule dit beaucoup de l’art du cinéaste allemand (1897-1987), né Hans Detlef Sierck, auquel Roman Hüben rend hommage dans le documentaire Douglas Sirk, le cinéaste du mélodrame (2021). Car si prédominent dans ses films la flamboyance des couleurs, l’artificialité rayonnante des décors, la permanence sentimentale de la musique (de Frank Skinner, son compositeur fétiche), la noirceur est la tonalité majeure de Sirk.

Par un subtil renversement des valeurs morales, ses personnages forts sont des « faibles » : « mauvaises » mères et « mauvaises » filles, blondes en perdition, aviateurs dépressifs, héritiers alcooliques se croyant infertiles, dépressifs qui s’ignorent, etc. Ils se rachètent ou expient leurs fautes dans des « happy endings » en demi-teinte aigre-douce, voire tragique – comme la conclusion de son dernier film, le sublime Mirage de la vie (1959).

Sirk n’a pas tourné que des mélodrames et, parmi ceux qu’il a réalisés, une partie non négligeable est redevable à sa première carrière, en Allemagne, qu’il quitte assez tard, en 1937, en compagnie de sa seconde épouse, juive. Il laisse derrière lui la première, devenue nazie, et son jeune fils, qui mourra sur le front à 19 ans après avoir montré son beau visage dans des films de propagande.

Palimpseste autobiographique

Roman Hüben s’attarde avec raison sur ce drame intime dont Sirk ne parlera jamais, sauf à Jon Halliday – qui intervient dans le documentaire – en lui faisant promettre de ne révéler ses propos qu’après sa mort. Ce que fera l’historien dans une version révisée et augmentée de Sirk on Sirk, en 1997 (parue la même année en français aux éditions des Cahiers du cinéma).

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Il est aussi rappelé comment la trame du film Le Temps d’aimer et le temps de mourir (1958) est un palimpseste autobiographique. Tourné en Allemagne, dans un décor naturel de vraies ruines (qui ont, bien sûr, l’air plus fausses que nature), le film raconte, sans que personne le sût alors, l’histoire tragique de Klaus, le jeune fils que Sirk n’allait jamais revoir.

Jean-Luc Godard avait consacré à ce dernier film un retentissant article, Des larmes et de la vitesse, dans Les Cahiers du cinéma d’avril 1959 ; une dizaine d’années plus tard, Rainer Werner Fassbinder a, lui aussi, contribué à la réhabilitation de Sirk, trop souvent raillé pour ses rutilantes machines à expression lacrymale.

Roman Hüben cite ce que disait Fassbinder à l’égard du génie de Douglas Sirk et rappelle qu’il avait invité son aîné à enseigner à l’école de cinéma de Munich et à y superviser des courts-métrages tournés entre 1975 et 1979, alors que Sirk était rentré en Europe (il habitera Lugano, en Suisse, jusqu’à sa mort).

Autre « disciple » à intervenir dans le cadre de cet intéressant documentaire, l’Américain Todd Haynes, qui, dans Loin du paradis (2002), a subtilement repris les codes dramaturgiques et visuels du grand cinéaste qu’il admire tant lui aussi.

Douglas Sirk, le cinéaste du mélodrame, documentaire de Roman Hüben (All., 2021, 52 min). Disponible sur Arte.tv, jusqu’au 27 mai.

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