Difficile d’imaginer, pour une comédienne, une charge plus lourde que celle représentée par Christine Labot. Cette épouse, mère, esthéticienne que l’on suit pendant trente ans et six épisodes, à partir du jour de 1988 où sa vie a basculé, au bord de la Sambre, est un personnage de fiction. C’est aussi « la somme de plein de vies différentes », comme le dit Alix Poisson à qui a échu ce rôle. Les vies de victimes du « violeur de la Sambre » qui, trois décennies durant, a attaqué et violé des femmes pour n’être arrêté qu’en 2018.
Incarner Christine Labot dans Sambre, c’était à la fois exercer son métier d’actrice dans ce qu’il a de plus exigeant et prendre en compte la réalité des existences bouleversées, brisées et parfois interrompues des dizaines de victimes de Dino Scala, devenu Enzo Salina à l’écran. Alix Poisson n’a pourtant pas hésité lorsque Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur et initiateur de la série, lui a proposé le scénario écrit par la journaliste Alice Géraud, autrice de l’enquête Sambre. Radioscopie d’un fait divers (JC Lattès, 400 pages, 21,50 euros), et Marc Herpoux.
« J’ai dit à Jean-Xavier que je pensais que la série ferait date en France, avec ses strates, sur l’évolution de la pensée, des croyances, avec des personnages aussi fouillés, raconte l’actrice, quelques jours avant la diffusion des premiers épisodes. Je lui ai dit que j’avais très envie de le faire, et j’ai passé des essais pour le rôle de Christine. » Ce qui peut paraître un peu surprenant.
Alix Poisson a été de presque toutes les entreprises de fiction de Jean-Xavier de Lestrade, depuis qu’elle a incarné Véronique Courjault dans Parcours meurtrier d’une mère ordinaire. L’Affaire Courjault en 2009 jusqu’à Laëtitia en 2020 (elle était une assistante sociale impuissante face à la tragédie) et Jeux d’influence (2019-2023). Elle ne s’est pas formalisée de cette exigence. « A mes débuts, je ne l’acceptais pas, se souvient-elle. Au théâtre, j’avais travaillé trois fois avec Philippe Adrien, qui était un peu mon papa de théâtre. Il m’a appelée un jour parce qu’il voulait monter un Tchekhov. Il me dit : “Je voudrais bien que tu fasses une lecture.” Je lui ai répondu que, quand même, on avait déjà fait trois pièces ensemble, et j’ai trouvé sa réponse géniale : “Il y a des moments où on a besoin de voir l’acteur dire les mots du personnage, de voir s’il va vraiment vers ce personnage.” »
Sollicitude étouffante
Comme le fait observer son interprète, le personnage de Christine est construit autour du déni du crime dont elle a été victime. Ce déni, c’est d’abord celui du policier qui l’entend et transforme aussitôt le crime sexuel en tentative de vol à la tire, offrant à la jeune femme une échappatoire, par indifférence plus que par malice. « Le déni peut être extrêmement opaque, on peut jouer quelqu’un qui est absent à soi-même, détaille la comédienne. Il peut aussi prendre la forme d’une sorte de dépression. Et puis, le déni, ce n’est absolument pas spectaculaire. Dès que Christine rentre chez elle, au premier épisode, c’est terminé, comme ça arrive à beaucoup de victimes. Elle n’a pas été entendue, ni crue, ni respectée, quelque chose se ferme définitivement. »
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