C’est un étrange western qui se déroule au cœur du Sine Saloum, delta situé au Sénégal juste au nord de la Gambie classé en 1981 réserve mondiale de la biosphère. Dans cet univers d’îles, de bolongs (cours d’eau salée) et de mangrove, plutôt propice aux séjours calmes à admirer les nombreuses espèces d’oiseaux et à déguster des huîtres de palétuviers, difficile d’imaginer des scènes violentes, des esprits donnant la mort ou des enfants traumatisés.
Trois mercenaires – Minuit, Rafa et Chaka –, surnommés les Hyènes de Bangui, s’échappent en avion de la ville de Bissau en compagnie d’un narcotrafiquant latino-américain, emportant avec eux quelques lingots d’or. Ils sont alors obligés d’atterrir dans le Sine Saloum suite à une fuite de carburant. Et vont devoir s’installer dans un petit campement pour touristes, dirigé par un ancien tortionnaire plutôt jovial, où règnent des entités vengeresses… Une voix off avertit le spectateur : « Chez nous, on dit que la vengeance est comme un fleuve, et nos actions une pirogue guidée par le courant, dont on atteint le fond que quand on se noie. »
L’histoire du long-métrage Saloum, sorti fin janvier, a été imaginée par Jean Luc Herbulot et Paméla Diop. Le premier a écrit le scénario et a réalisé le film, la seconde l’a produit. Lors de sa sortie à la fin de 2022 aux Etats-Unis, le respecté hebdomadaire The Hollywood Reporter écrivait : « Passant avec une joie contagieuse d’un drame policier à un western moderne et à un film d’horreur imprégné d’éléments surnaturels, Saloum pourrait bien être le rare film africain à entrer dans le courant international ou, à tout le moins, à atteindre le statut de film culte. »
Rien ne destinait Paméla Diop à entrer dans le monde du cinéma. Née le 18 octobre 1981 de père sénégalais et de mère française à Cannes (Alpes-Maritimes) – et plutôt très agacée par le « cirque du Festival à cause de tout ce monde, des embouteillages et des interdictions d’aller et venir » –, la jeune femme fait des études de finance et de comptabilité et se dirige vers l’entrepreneuriat. A l’âge de 17 ans, elle découvre le Sénégal : « Ça a été un choc. J’avais l’impression d’être super décalée. Très désagréable. » Elle y retourne deux ans plus tard : « Un vrai coup de foudre. Je rencontrais des jeunes qui avaient le même âge que moi et qui faisaient plein de choses différentes. »
« Je savais ce que je voulais »
Paméla Diop décide de s’y installer un an plus tard. Elle a 20 ans. Pendant une petite dizaine d’années, l’entrepreneuse fait de l’import-export entre le Sénégal et la France. « Un jour, par hasard, je rencontre un ami d’un ami qui travaillait sur un court-métrage et avait besoin de quelqu’un pour la comptabilité, l’organisation, la gestion de projet. J’ai été totalement séduite par ce monde. Je savais ce que je voulais faire », se souvient-elle.
Elle rentre alors à Paris et reprend ses études. Après une validation de ses acquis d’expérience, elle suit un master 2 en management des médias audiovisuels à l’Institut des hautes études économiques et commerciales (Inseec). Diplômée, elle commence à être embauchée comme directrice de production pour des formats de 52 minutes, des publicités au Gabon et en Côte d’Ivoire, pour des chaînes locales.
En 2021, Paméla Diop fonde AWA Productions, une structure pour accueillir des films écrits et/ou réalisés par des femmes d’Afrique et des diasporas. Parallèlement, elle crée l’association African Woman Action qui met en place des programmes d’initiation, de découverte et de formation aux métiers du cinéma entièrement dédiés aux femmes. « Grâce à mon agence, nous avons décroché de gros contrats, notamment dans la publicité. Avant de s’embourgeoiser, prenons cet argent et mettons-le dans un film ! Il était temps pour moi de passer à la fiction. Et mon premier bébé est Saloum », précise la productrice.
« Un western africain »
Connaissant Jean Luc Herbulot, scénariste et réalisateur franco-congolais né à Pointe-Noire (Congo) en 1983, qui venait de terminer sa collaboration sur la série policière Sakho et Mangane commandée par Canal+ Afrique, elle lui propose de venir travailler pendant une semaine sur l’histoire de Saloum dans le village de Mar Lodj sur l’île de Mar, dans le delta du Sine Saloum.
En 2014, Jean Luc Herbulot avait écrit et réalisé son premier long-métrage, Dealer, film commando très violent tourné en douze jours à Paris avec un budget de 30 000 euros, qui sera le premier film indépendant français acheté et distribué par Netflix. Une redéfinition pour le réalisateur d’une fiction urbaine en la détachant de la banlieue et en évitant l’habituel cliché du dealer noir ou maghrébin sur fond de hip-hop et de rap.
« Saloum est un “southern”, un western africain que j’ai voulu teinter d’une couche de terreur et d’une couche d’histoire militaro-géopolitique, assume le scénariste. Les Occidentaux y verront une curiosité d’un genre qui se fait peu sur le continent. Les Africains y verront peut-être la possibilité et la nécessité de construire des héros de notre point de vue, avec une liberté de ton, de narration qui manque bien trop souvent dans notre cinéma. »
Grâce à un tournage au financement 100 % africain, sans subventions et sans coproduction, sur fonds propres, seulement cinq semaines ont été nécessaires pour boucler l’aventure des quarante personnes – une équipe à 90 % locale – qui ont accepté d’être faiblement payées, travaillant dans plusieurs lieux du delta : Ndangane, Simal (le campement), Palmarin, Mar Lodj…
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Car le Sine Saloum est également l’un des personnages du film, cinématographique à souhait. Mais les conditions de vie et de tournage n’ont pas été des plus simples, notamment à cause de l’isolement. « Nous avons tous perdu entre 10 et 15 kg, mais nous savions que nous avions vécu quelque chose d’unique dans des paysages exceptionnels, avec la bonté et la patience des gens [des villages]. Une équipe en guerre contre tous les éléments naturels… et surnaturels », souligne Jean Luc Herbulot.
Après trois ans d’aventures, Saloum a été sélectionné et salué par la critique en 2021 au Festival international du film de Toronto (TIFF), a été présent dans plus d’une quarantaine de festivals à travers le monde et distribué dans une vingtaine de pays africains par Pathé BC Afrique. Après avoir vu le film, on se souviendra peut-être de Touki Bouki (Le Voyage de la hyène) de Djibril Diop Mambéty datant de 1973, quasi-western qualifié de « chef-d’œuvre » par Le Monde à sa sortie. Comme une filiation à cinquante ans d’intervalle.
Aujourd’hui, Paméla Diop ne se repose pas sur ses lauriers. Toujours avec Jean Luc Herbulot, un nouveau film a été tourné et est actuellement en postproduction : « Deux Américains, qui ont une bombe sur la poitrine, se réveillent à Dakar où ils doivent survivre. » Et un troisième, avec comme personnage principal une certaine Awa, sourde et muette, est en développement. Pour la productrice, il s’agit de « développer l’industrie cinématographique au Sénégal, de la formation à la distribution. Et nous avons l’impression d’être au début d’une révolution. » Le chemin semble tracé.