Qu’elle tourne pour le cinéma (elle a débuté en 1995 dans L’Age des possibles, de Pascale Ferran) ou s’impose au théâtre, cette interprète de 53 ans n’a besoin ni de hurler pour signifier la rage ni de sangloter pour exprimer la tristesse. Aux excès monochromes, elle préfère les nuances bigarrées, ce qui la rend une et multiple : on l’a vue soumise mais impériale, en 2022, dans Sur la voie royale, un monologue étourdissant de l’autrichienne Elfriede Jelinek. On l’a connue burlesque et effrontée, en 2018, dans L’Avare, de Molière. Et on l’a aimée blessée mais altière, en 2022, dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès.
Le paradoxe ne lui fait pas peur : elle a la froideur des blondes hitchcockiennes et la sensualité des amantes passionnées, l’aplomb des femmes qui ne s’excusent de rien et la fragilité de celles qui doutent de tout. A l’âge de la maturité, cette actrice qui rêve de « défendre dans une série ou au cinéma un beau personnage féminin » est un kaléidoscope rare.
Née en Bretagne, élevée à la campagne, elle dit avoir grandi « dans la nature, avec les animaux, le nez dans les bouquins, toujours en train de lire et de chercher la compagnie des auteurs ». En terminale, amoureuse d’un garçon, elle le rejoint dans un atelier de jeu pour passer tout son temps avec lui. « Dès que j’ai mis les pieds sur scène, j’ai senti que c’était l’endroit où je devais être. » Les baisers de la scène sont les morsures du destin. La lycéenne sera comédienne.
Corps sexualisé à son insu
Pas facile d’embrasser une vocation qui contrarie son père au point que, venue en 1990 à Paris pour étudier au cours Périmony, elle file « en cachette » tenter (et réussir) le concours de l’école du Théâtre national de Strasbourg. « Sans vraiment m’en rendre compte, j’ai bravé l’interdit paternel. C’était vital. » Si vital qu’il lui a fallu passer outre à ses pudeurs : « Je voulais jouer, mais je ne voulais pas être vue. »
Christèle Tual n’a pourtant rien d’une masochiste. Au contraire. Sur les planches, elle règle son compte au réel en s’extirpant de l’hiatus où l’a piégée un corps sexualisé à son insu : « Enfant, j’étais un garçon manqué. A 20 ans, mon corps a pris des formes auxquelles je ne m’attendais pas. Il était féminin quand je ne l’étais pas. Je suis devenue “la blonde aux gros seins”, donc, dans l’imaginaire collectif, une idiote. Il m’a fallu faire exister ce corps sur scène pour lui donner la place qu’il n’avait pas dans la vie. Je le réinvente, il est malléable, idéalisé ou monstrueux. L’exhiber en public était le prix à payer pour qu’il ne soit jugé qu’à l’aune de l’artistique. »
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