ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Richesse des archives filmées, diversité des témoignages recueillis, clarté du commentaire. En réunissant ces trois éléments dans leur documentaire consacré à l’histoire complexe et tourmentée du Chili depuis 1970, Lucie Pastor et Paul Le Grouyer ont fait du beau travail.
Pour comprendre les paradoxes d’une société chilienne fracturée, où les envies de justice sociale se heurtent au conservatisme d’une partie de la population, il fallait construire un documentaire classiquement chronologique pour ne pas perdre le fil des rebondissements d’une histoire politique, économique et sociale aussi violente qu’imprévisible.
Marxisme, dictature militaire, ultralibéralisme, démocratie, le Chili bouge et n’a rien d’un pays apaisé. C’est ainsi que, de l’élection de Salvador Allende, le 4 septembre 1970, à celle du jeune (35 ans alors) Gabriel Boric, le 19 décembre 2021, en passant par la longue période de dictature (de 1973 à 1990) d’Augusto Pinochet, l’histoire récente du pays se dessine sous nos yeux.
Images-chocs
Ce qui frappe dans ce documentaire, c’est la présence des caméras au cœur d’événements extrêmement violents. Dans les années 1970 et 1980, les smartphones n’existaient pas, mais le courage des cameramen de chaînes européennes ou américaines a permis d’enregistrer des images-chocs. Comme ces charges de carabiniers déchaînés en gros plan, ces arrestations brutales en direct, ces coups portés à des femmes à terre.
Dans Santiago, on a filmé aussi des face-à-face tendus entre partisans d’Allende et militants d’extrême droite. Au célèbre slogan « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » répond un « La gauche unie est une saloperie », qui donne un aperçu de l’état d’esprit du moment.
Aux images du bombardement du palais présidentiel de la Moneda, le 11 septembre 1973, par l’aviation militaire succèdent celles, rarement vues, qui ont tourné les jours suivants. Fouilles, arrestations, matraquages, corps mutilés et repêchés dans le fleuve qui traverse la capitale, tout est filmé.
Même la télévision américaine, pourtant peu suspecte de sympathies pro-Allende, se fait l’écho d’une situation qui n’a rien de normal : « Ce pays, hier l’un des plus libres d’Amérique latine, est devenu une dictature militaire. La junte prétend éradiquer le marxisme, mais sans préciser quand et si elle permettra le retour de la démocratie », commente le reporter américain dans un Santiago bouclé par l’armée.
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Découvrir
Au-delà des images-chocs, l’intérêt du documentaire tient aussi aux explications données par les multiples témoins interrogés, qu’ils soient militants ou responsables politiques, comme l’ancienne présidente socialiste (2014-2018) Michelle Bachelet.
De la douleur des nombreux expulsés, contraints de quitter leur pays durant de longues années, à la peur quotidienne vécue par les opposants restés au Chili, de la profonde misère économique touchant une large partie de la population aux privilèges d’une minorité, tout est décortiqué.
Comprendre le Chili de l’après-Pinochet n’est pas plus facile. Comment réconcilier un pays divisé et meurtri ? Visiblement, personne n’a encore trouvé la recette. En septembre 2022, le projet d’une nouvelle Constitution prévoyant des droits en matière de santé, d’éducation, de sécurité sociale, de parité femmes-hommes a été rejeté par près de 62 % des votants.
Chili, par la raison ou par la force, documentaire de Lucie Pastor et Paul Le Grouyer (Fr., 2022, 90 min). Sur Arte.tv, jusqu’au 10 décembre.