Cannes 2023 : sur la Croisette, les rêves d’un chamane

0
9

Mardi 16 mai, à 3 heures du matin, Ihjac, 22 ans, a quitté le village. Il a pris la moto pour rejoindre par la piste le petit bourg d’Itacaja. Puis, de là, il a fait neuf heures de bus pour rejoindre Palmas, la toute jeune capitale de l’Etat du Tocantins, à 700 kilomètres au nord de Brasilia. Après y avoir obtenu un passeport, il a pris l’avion pour Sao Paulo, et de là, pour Madrid puis Lisbonne. Là, il a voulu découvrir la tour de Belem, qui a vu, au XVIe siècle, les Portugais s’en allant conquérir le Brésil, sa terre natale d’Amazonie. Enfin, ayant retrouvé Hyjno, le chamane, et sa femme, Cruwakwyj, il a rallié Cannes.

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés « La Fleur de Buriti », les liens sacrés du peuple Kraho

Ihjac est un Kraho. Héros principal du premier long-métrage de Joao Salaviza et Renée Nader Messora, Le Chant de la forêt, Prix spécial du jury en 2018, au Festival de Cannes, on le retrouve dans La Fleur de Buriti, pour lequel il a également participé au scénario. Quand il ne fait pas de cinéma, ou qu’il ne participe pas aux tâches du village, Ihjac suit des études pour devenir infirmier. « Pour prendre soin de ma communauté. Mais je veux aussi en apprendre plus de la médecine de la forêt. »

Comme Hyjno. On demande au chamane comment il a acquis son savoir. Regard dubitatif et un peu vexé : il n’a pas appris, ce sont les esprits qui le guident. « Quand quelqu’un est malade, j’essaye de comprendre ce qui l’habite, puis je vais dans la forêt, chercher le produit qui va le soigner. »

Sur la table du restaurant installé sur une plage de Cannes, il goûte les filets de poisson cachés sous un manteau de purée verte. Grimace d’approbation de celui qui porte comme une revendication sa coiffe traditionnelle de plumes. Ce n’est pas souvent que les Kraho quittent leur territoire. Le village d’Hyjno, Cruwakwyj et Ihjac compte 650 habitants.

Minorités invisibles et combats oubliés

Le peuple Kraho, c’est 4 000 personnes en tout. Sachant qu’on dénombre 300 tribus pour plus de 1 million d’Indiens au total, la nomination par Lula, depuis sa réélection, d’une ministre des peuples indigènes, est un événement. Hyjno, Cruwakwyj et Ihjac remuent la tête positivement : « C’est une Guajajara, mais elle œuvre pour nous tous, reprend Hyjno. Pour nous, c’est un peu comme d’avoir désormais un président. »

Lire l’entretien avec Sonia Guajajara, ministre des peuples indigènes : Article réservé à nos abonnés « Nous allons travailler pour mettre fin à la négation de nos droits »

Quand on sait que, pour la moindre décision, le village se réunit et palabre pendant des jours pour arriver à trancher dans un processus démocratique sans hiérarchie, où chaque voix a valeur égale, on mesure le chemin parcouru. « Ce n’est que le début. Il nous faut y croire. Lui laisser le temps de prendre ses marques, souhaiter qu’elle reste en contact avec la réalité indigène, qu’elle ne nous oublie pas… Et qu’elle persuade Lula… » Festival de cinéma, Cannes a toujours été une caisse de résonance pour les minorités invisibles et leurs combats oubliés.

Il vous reste 19.84% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici