Cannes 2023 : « Monster », l’adolescence dans le cubisme narratif de Kore-eda

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SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION

Révélé en France voici trente ans avec ce qui demeure à ce jour ses deux plus beaux films – les fantômaux Maborosi (1995) et After Life (1998) –, le Japonais Hirokazu Kore-eda amorce par la suite un double mouvement qui infléchit son œuvre vers le réalisme mélodramatique en même temps qu’elle devient un objet d’élection cannoise qui lui vaut régulièrement, à compter des années 2000, une place de choix dans la compétition locale, dont il finit par remporter la Palme d’or en 2018 avec Une affaire de famille.

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Chroniques intimistes de la famille nippone, prédilection pour les personnages d’enfants et d’adolescents esseulés, critique latente de la rigidité de la société japonaise constituent dès lors des figures qui indiquent le nord de son œuvre, déroulée sous le sceau d’une délicatesse et d’une distanciation qui confinent parfois à une mièvrerie parfaitement concertée.

Après deux voyages à l’étranger pour ventiler un peu les turbines – La Vérité (2019) en France, Les Bonnes Etoiles (2022) en Corée –, le retour de Kore-eda au pays natal s’effectue sous de semblables auspices. Son jeune héros, Minato, est un adolescent un peu étrange, pardon pour le pléonasme, orphelin de père, traversé de sombres pensées, sujet à d’inquiétantes vicissitudes scolaires, qui donne du souci à sa mère, laquelle n’arrange rien au tableau en sacrifiant sa vie à son bien-être.

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C’est donc d’emblée à ce double fardeau de l’enfant – celui de la rigidité de la société japonaise et celui de la surprotection de cette jeune veuve – qu’on est tenté de rapporter ces maux. On n’aura pas tort, à ceci près que le réalisateur brode autour de cette ligne centrale une mise en scène qui en opacifie le motif, et qui fait se succéder, comme dans Rashomon (Akira Kurosawa, 1950), une suite de récits qui se contredisent et s’enrichissent avant d’offrir une image plus pérenne de la réalité que nous dévoile le film.

Consolation ludique

Ce cubisme narratif fait ainsi apparaître par emboîtements successifs – et à partir de la suspicion de violence frappant un des enseignants de Minato – le point de vue de la mère, celui de l’enseignant et celui du jeune garçon lui-même. Le premier stigmatise la langue de bois du corps enseignant dans son ensemble et la grande violence que recouvre, pour la mère, la fausse contrition de l’institution qui n’est qu’une autre manière de formuler une fin de non-recevoir.

Le deuxième infléchit cette impression en révélant un ordonnancement des événements tel qu’il en renouvelle la signification. Le troisième, enfin, fait éclater à travers l’évocation d’une amitié élective entre Minoto et l’un de ses camarades, enfant battu par un père alcoolique, une vérité longtemps attendue, et dont on comprend mieux pourquoi elle devait rester secrète.

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