Sur une terrasse de la Croisette, Jim Jarmusch, tignasse blanche et chemise noire, choisit son menu végan avant l’interview. Les années semblent glisser sur le réalisateur et artiste âgé de 70 ans. A ses côtés, son acolyte à la barbe soignée, Carter Logan, musicien et producteur. Les deux hommes sont un peu comme la face A et la face B d’un même disque. Ils se complètent, travaillent ensemble et coécrivent les musiques de films de Jarmusch depuis The Limits of Control (2009). Leur nom de groupe : Sqürl.
Ils sont à Cannes pour présenter, dans la section Cannes Classics, leurs compositions musicales sur quatre films restaurés de Man Ray (1890-1976) – Le Retour à la raison (1923), Emak-Bakia (1926), L’Etoile de mer (1928) et Les Mystères du château du Dé (1929), regroupés sous le titre Return to Reason – que sortira prochainement en salle le distributeur Potemkine. La « carte sonore », comme ils disent, mêle une guitare bruitiste, des percussions, des nappes de synthé et des riffs plus délicats, s’accordant aux jeux visuels et à la poésie de l’image que fabriquait Man Ray.
La première projection mondiale a eu lieu, mardi 23 mai, salle Debussy, au Palais des festivals de Cannes. Mais Jarmusch et Logan ne se sont pas produits sur scène. Seul l’enregistrement sonore accompagnait le film. « Je ne donne jamais de concert dans les festivals de cinéma. Sinon, le public pourrait penser que c’est un hobby pour moi. Or, je ne suis pas que cinéaste, j’ai été musicien avant de faire des films, je suis aussi un artiste visuel et j’écris des poèmes », explique Jarmusch. Il ajoute, comme pour ouvrir encore plus l’éventail : « Je viens également de designer cinq planches de skate, et le produit des ventes sera reversé à deux skate-parks fréquentés par de jeunes Amérindiens, l’un situé au Texas, l’autre à Mexico. » Dans cet esprit, dit-il, il « aime l’idée que Man Ray fut un peintre, un sculpteur, un photographe, et qu’il a aussi dessiné des lampes, des bijoux, des jeux d’échecs ».
« Réalité consciente »
Cet inventeur génial est une source d’inspiration pour le duo d’artistes. En 1921, il créa un peu par hasard le rayographe, une photo obtenue par la présence d’un objet simplement interposé entre le papier sensible et la source lumineuse. Une technique qu’il utilisa notamment dans Emak-Bakia. Ces impressions directes de formes d’objets représentaient pour Man Ray l’équivalent photo de l’écriture automatique chez les surréalistes. « Les mouvements dada et surréaliste, auxquels a appartenu Man Ray, m’ont ouvert l’esprit. Ces artistes ne voulaient pas s’en tenir à la réalité consciente, refusaient toute hiérarchie entre les arts, comme le fait que Dante serait plus important qu’un comic book ou une bande dessinée… Tout ce relativisme m’a fortement nourri », explique le réalisateur de The Dead Don’t Die (2019).
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