Cannes 2023 : « Etat limite », un médecin à l’écoute des âmes blessées

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ACID

Hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine). En prenant naissance dans une nuque tatouée du symbole marche-arrêt, le film pose d’emblée la question de la déshumanisation de l’hôpital public, étiolé par les coupes budgétaires. A l’instar de deux autres documentaires sortis un peu plus tôt cette année, Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert (Ours d’or à Berlin) et Professeur Yamamoto part à la retraite, du Japonais, Kazuhiro Soda, Etat limite de Nicolas Peduzzi (Ghost Song, sélectionné par l’ACID en 2021) partage l’idée que la santé de la société se mesure à la manière dont elle soigne ses fous. Ces trois longs-métrages, dont la concomitance ne peut être liée au seul hasard du calendrier, témoignent de l’état préoccupant de la médecine psychiatrique en France et défendent une médecine fondée sur la convivialité, l’empathie et la participation collective aux activités.

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Etat limite (qui désigne le stade intermédiaire entre la névrose et la psychose) s’attache à décrire le lien sensible tissé par un psychiatre avec des malades atteints de troubles mentaux ou passés par des moments difficiles. Le docteur Jamal Abdel-Kader, 34 ans, navigue entre les services, des urgences à la réanimation, pour apaiser les âmes. Face aux défaillances de l’hôpital public, qui a plus vite fait de sédater pour répondre aux impératifs de rendement, il donne de l’attention, ce qui revient à dire que son travail non quantifiable ne peut être valorisé.

Un monde en soi

Tout concourt dans la mise en scène à montrer la situation impossible dans laquelle il se trouve, pris dans une course contre la montre qui ne peut être gagnée qu’avec le temps. D’un côté, sur la partition enfiévrée du compositeur Gaël Rakotondrabe, le flux tendu de l’hôpital, en état de crise permanente – longs couloirs saturés de brancards, échanges entre deux portes, présence de policiers, escaliers interminables à monter et descendre… De l’autre, les moments passés, seul à seul, avec ses patients ou des membres de leur famille. C’est ici qu’il fait face au tragique qui, par essence, se situe davantage dans l’attente que dans la catastrophe des ambulances qui arrivent.

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Chaque chambre se vit comme un monde en soi. Un cerveau. Un chagrin. Un temps suspendu. A l’image de l’antre noir de Wendy, 18 ans, touché par le deuil et des douleurs chroniques au pancréas. Fantôme de lui-même, à demi éclairé par un jeu vidéo et une télévision qui diffuse en continu les programmes du jour. La plupart des patients du film ont une petite vingtaine d’années. Comment soigner leur mélancolie ? Les défaire de leurs cauchemars ? Les retenir en vie le temps qu’ils trouvent une place dans la société ? Peduzzi décrit le travail du docteur, à la fois comme une louange et un sacerdoce, voué à « dézinguer la psychiatrie telle qu’elle est ».

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