« Caisse 19 » : Claire-Louise Bennett fait parler ses ombres

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« Caisse 19 » (Checkout 19), de Claire-Louise Bennett, traduit de l’anglais par Thierry Decottignies, Scribes, 288 p., 22,90 €, numérique 17 €.

Dans son deuxième roman, Claire-Louise Bennett peint les miniatures de sa jeunesse, soumise à ses « imaginations suprêmement aberrantes »  : son rêve de trouver un rouge à lèvres de la couleur exacte du sang de ses règles, l’arrogance de ses petits amis, sa liaison tempétueuse avec les livres – ah ! la supériorité des pages de gauche sur celles de droite…

Succédant à L’Etang (L’Olivier, 2018), Caisse 19 est l’histoire des mots de ­l’écrivaine britannique. Dans une spirale de phrases scandées, chatoyantes, qui jouent sur la réitération et les énumérations drolatiques, se tricote une ritournelle de révolte : comment faire parler ses ombres ? Dans un dialogue avec elle-même et ses personnages, elle met à nu les accidents de la remémoration. Relisant après coup les romans qui l’ont constituée, elle découvre qu’elle les a interprétés, sur le moment, selon le biais de sa conscience en devenir. Les livres ne sont pas une réalité stable, ni quand on les lit ni quand on les relit pour les faire coïncider avec l’image figée en soi.

Toute en malice frondeuse, la narratrice se promène dans son roman comme dans sa vie, mettant en scène la difficile appropriation du moi, le processus de la mémoire qui se déplie – comment écrire le chemin entre soi et moi ? « Mais que sais-je d’elle au juste, de cette fille assise à cette table, et que j’étais ? », interroge-t-elle. Pour rendre possible un « je » qui soit vraiment le sien, elle fait des détours par le « nous », par le « elle », exposant les stratégies nécessaires pour faire advenir une figure de femme et d’écrivaine, qui ne serait pas lavée de ses extravagances. Elle joue au chat et à la souris, changeant de personne à l’intérieur même d’une phrase. Soudain, le « tu » ne renvoie plus au « je », mais à un personnage – tout le livre se lit au bord de cette passerelle.

Ce que lit la narratrice à ce qu’elle écrit

Sous ses yeux, le lecteur voit accéder l’écrivaine aux possibles prolongements de ce qui est sorti de sa plume. On lit par exemple plusieurs versions de la vie d’un certain Tarquin Superbus, dont les centaines de livres, dans l’une de ces variations, s’emplissent de pages blanches, à l’exception d’un, constitué d’une phrase unique, qui changera, s’il la trouve, la vie de son lecteur. Pour la découvrir, il lui faudra les feuilleter toutes. Ces pages immaculées ont beau éveiller chez le personnage l’inassouvissement d’un espace disponible, il brûlera les ouvrages pour en éloigner le défi : au lieu de se saisir de cette blancheur, de sa ­promesse, il l’éradique.

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