ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Il y a cinquante ans, le 20 juillet 1973, Bruce Lee disparaissait. Quel homme se cache derrière l’icône sino-américaine cinématographique des arts martiaux ? C’est la question que creuse le cinéaste Bao Nguyen dans Be Water !, qui raconte un homme, une famille, deux conditions et deux industries cinématographiques, séparées par l’océan Pacifique. Il déconstruit le mythe, par la voix même de Bruce Lee, en rappelant les obstacles que l’artiste a affrontés, et réaffirme l’importance, toujours d’actualité, de la représentation des groupes minoritaires au cinéma. Un magnifique portrait, qui restitue la complexité – qu’on lui a si souvent refusée – d’un homme tiraillé entre deux mondes.
Né à San Francisco (Californie) en 1940, Bruce Lee grandit à Hongkong, où son père chante à l’opéra. A 13 ans, il pratique le wing chun, un art martial traditionnel chinois axé sur le combat rapproché. Plus doué pour la bagarre que pour l’école, il est déjà un enfant star du cinéma hongkongais lorsqu’il est envoyé, à 18 ans, auprès d’amis de ses parents à Seattle (Washington). Il y fonde une école où il enseigne le jeet kune do (« la voie du poing qui intercepte »), la philosophie et les pratiques martiales qu’il a synthétisées à partir d’autres disciplines. Il s’attelle à créer un réseau d’écoles pour développer cette discipline, quand il est rattrapé, au milieu des années 1960, par le cinéma.

A Hollywood, les personnages asiatiques sont interprétés par des acteurs blancs, souvent grimés ; les rôles sont cantonnés à des personnages excessifs, extrêmement stéréotypés, ou à des valets. Remarqué lors d’une démonstration d’arts martiaux, Bruce Lee interprète Kato, le précieux majordome du Frelon vert, dans la série éponyme (1966-1967).
Souplesse et fluidité
Payé comme un figurant, il fait ajouter du dialogue à son rôle, initialement muet, et casse le mythe de la « minorité modèle » attachée aux personnes asiatiques, alors opportunément opposée aux Noirs, qui exigent les droits civiques. « Il refusait de jouer des personnages qui dévalorisaient les Chinois, relate sa veuve, Linda Lee Cadwell. Il savait que la seule façon de se mettre en valeur était de créer ses propres rôles. »
Ainsi imagine-t-il la série Kung-Fu (1972-1975), qui sera diffusée par ABC. Mais les Etats-Unis n’étaient pas prêts pour un héros asiatique, et ABC embauche David Carradine pour le rôle principal. Bruce Lee rentre à Hongkong et signe les films d’arts martiaux – Big Boss (1971), La Fureur de vaincre (1972), La Fureur du dragon (1972) et Opération dragon (1973) – qui ont fait sa réputation et influencé massivement la chorégraphie des combats du cinéma hollywoodien. Disparu soudainement à l’âge de 32 ans, il n’aura pas eu le temps de savourer ses succès.
Bao Nguyen s’appuie sur des archives peu connues finement mises en scène : lettres écrites par Bruce Lee (et lues par sa fille, Shannon Lee), photographies de famille, vidéos dans les coulisses de ses tournages ou chez lui. Archives recueillies auprès d’intimes de la star : son épouse, sa fille, son frère, ses amis, ses élèves – parmi lesquels le basketteur Kareem Abdul-Jabbar et l’acteur Dan Inosanto (Le Jeu de la mort, 1978) –, de professionnels du cinéma avec qui il a travaillé. Les témoins n’apparaissent à l’écran qu’à l’issue, émouvante, du film.
« Be water ! L’histoire de Bruce Lee », documentaire de Bao Nguyen (Etats-Unis, 2020, 97 minutes), disponible sur Arte.tv.