CANAL+ BOX OFFICE – À LA DEMANDE – FILM
Il y a quelque chose de toujours inquiétant à voir Hollywood se regarder dans le miroir, comme si l’industrie se dotait d’une conscience de soi mélancolique, pressentant la fin d’une ère. En 2019, dans Once Upon a Time… in Hollywood, Quentin Tarantino, à travers l’amitié entre un acteur de seconde zone et son cascadeur, filmait la fin d’un certain Hollywood.
Quatre ans plus tard, Babylon semble entretenir sa gémellité avec le film de Tarantino : même structure chorale suivant trois personnages qui tentent de se faire une place sous le soleil californien, mêmes vedettes – Margot Robbie et Brad Pitt – en tête d’affiche ; choix de situer l’intrigue à un moment de bascule : ici, la fin des années 1920 et la transition du muet au parlant, qui transformera Los Angeles en mastodonte tentaculaire et hyperorganisé.
Babylon puise son énergie dans la frénésie de la période électrique où Hollywood était un terrain de jeu bohème et décadent, un refuge de saltimbanques partageant leur temps entre des fêtes dionysiaques et les tournages bordéliques qui semblaient les prolonger. Le titre s’inspire sans doute du récit sulfureux de Kenneth Anger, Hollywood Babylone (1959, réédité en 2013 chez Tristam Editions), portrait d’une capitale du péché se régénérant à coups de scandales sexuels et d’ambitions dévorantes qui se rétractent en destins funestes.
Vedette sur le déclin
Damien Chazelle introduit son film par une immense orgie dans le manoir d’un dirigeant de studio où les corps s’abîment dans un bain de luxure et de stupéfiants. Babylon emboîte les séquences comme d’imposants tableaux que traversent des parades felliniennes. A chaque fois, le même principe : la situation pourrit lentement, court vers la gueule de bois, révélant peu à peu son envers cauchemardesque.
Dans ces enfers se distingue une galerie de personnages : Jack Conrad (Brad Pitt), acteur vedette sur le déclin, Nellie LaRoy (Margot Robbie), starlette mal dégrossie, et Manny Torres (Diego Calva), jeune Mexicain rêveur – ces deux derniers sont prêts à tout pour gravir les sommets. Tout comme le couple de La La Land (2016), Nellie et Manny ne s’allient que dans la reconnaissance mutuelle de leur arrivisme.
Chez Chazelle, un personnage ne s’individualise que par un affect cardinal qui lui fait office d’unique bagage psychologique : l’ambition. En face, le spectacle est un ogre aveugle qui met au pas les corps, les dévore avant de les recracher. Le cinéaste n’observe la jouissance de ses personnages que pour mieux la sanctionner – un à un, ils seront sacrifiés.
Il y a ce que le film croit être : un geste d’auteur suprêmement libre célébrant un vieux Hollywood artisan face aux blockbusters régressifs. Et puis, ce qu’il est vraiment : un épilogue filmé du point de vue de l’industrie, l’œuvre d’un Père Fouettard annonçant la fin de la récré.
Babylon, film de Damien Chazelle (EU, 2022, 188 min). Avec Margot Robbie, Diego Calva, Brad Pitt.