Monter Maison de poupée avec des marionnettes ? Aussi étrange que cela paraisse, personne ne s’y était risqué. L’idée a pourtant valeur d’évidence, ne serait-ce que dans le titre de la pièce, qui suggère d’emblée qu’est mis en jeu ici un monde de pantins, incapables de trouver le chemin de la vraie vie.
L’idée aurait pu être trop évidente, justement. Mais Yngvild Aspeli évite tous les écueils, et signe un spectacle extrêmement fort, qui met son intelligence de l’art marionnettique au service de la mécanique dramaturgique impitoyable inventée par son compatriote Henrik Ibsen en 1879.
L’histoire de Nora Helmer, qui prend conscience des mensonges sur lesquels reposent son mariage et sa vie bourgeoise, se déploie au fil d’une mise en scène qui tisse sa toile avec maestria. Le cœur en est le rapport entre les pantins à taille humaine, légèrement hyperréalistes comme toujours chez Yngvild Aspeli, et les acteurs. Le jeu qui s’instaure entre eux est virtuose et fascinant, et raconte mieux que tous les discours les manipulations à l’œuvre et la morbidité d’un monde patriarcal – déjà – miné de l’intérieur, et que Nora va abattre comme on le ferait de figurines au stand de tir.
Dédoublements entre humain et pantin
La marionnettiste norvégienne a le chic pour créer des images chocs, qui ne s’oublient pas. Dans la boîte noire du théâtre, qui peu à peu se transforme en gigantesque toile d’araignée, ses poupées prennent parfois l’allure de celles du surréaliste Hans Bellmer, avec ce qu’elles suggèrent de la maltraitance faite aux femmes. Les dédoublements entre humain et pantin, pris dans l’illusion théâtrale, donnent par moments le vertige.
Et puis il y a les araignées. D’abord minuscules et discrètes, elles deviennent au fil du spectacle énormes et envahissantes, renvoyant à la scène-clé de la pièce, celle où Nora vit une sorte de transe libératrice, en dansant la tarentelle. On le gardera longtemps au cœur, le combat mythologique entre Nora, magnifiquement incarnée par Yngvild Aspeli elle-même, et la bête aux pattes tentaculaires.
Maison de poupée, par Yngvild Aspeli, les 16 et 17 septembre au Festival de Charleville-Mézières (Ardennes). Puis en tournée française et internationale jusqu’en 2025.