Au Festival de Cannes, une nouvelle génération de cinéastes africains

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Six jeunes cinéastes africains ou issus de la diaspora sont à l’affiche de la 76e édition du Festival de Cannes, dont deux en lice pour la Palme d’or (Rama-Toulaye Sy et Kaouther Ben Hania) et quatre dans la sélection « Un certain regard » (Asmae El Moudir, Mohamed Kordofani, Kamal Lazraq et Baloji). « La question qui les préoccupe n’est plus celle de la construction de l’Afrique au lendemain des indépendances, comme au temps de Sembène Ousmane [réalisateur sénégalais et pionnier du cinéma en Afrique avec son film Borrom Sarret en 1963], mais bien : comment habiter le monde aujourd’hui ? », souligne Olivier Barlet, chercheur et fin connaisseur des cinémas d’Afrique.

Ramata-Toulaye Sy, pour Banel & Adama

La Franco-Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy est la seule réalisatrice de la compétition sélectionnée pour un premier long-métrage. Scénariste de formation, passée par l’Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son (Fémis, à Paris), elle a tourné son premier court-métrage, Astel, en 2021 dans le Fouta-Toro, où sont nés ses deux parents, à quinze minutes de pirogue de la Mauritanie. C’est dans cette région du nord du Sénégal que se déroule aussi Banel & Adama, une histoire d’amour folle entre deux jeunes gens.

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« C’est un huis clos, explique au Monde Ramata-Toulaye Sy. Je voulais écrire une tragédie, un Roméo et Juliette africain, je rêvais de filmer la plus belle histoire d’amour du continent. » Une passion sans portable ni électricité, où le personnage féminin, « déjà émancipé, radical et passionné, fait basculer le film dans la modernité ». « Mon film est loin des films naturalistes, c’est du réalisme magique », assure la réalisatrice de 36 ans qui a grandi en région parisienne. « Je suis très fière de représenter l’Afrique à Cannes, ajoute-t-elle, et je suis heureuse qu’on soit aussi nombreux cette année. Mais on ne devrait pas avoir à compter les cinéastes africains, cela devrait être la normalité. »

Kaouther Ben Hania, pour Les Filles d’Olfa

Plus familière du festival, la Tunisienne Kaouther Ben Hania a déjà à son palmarès plusieurs films primés : La Belle et la Meute, présenté en 2017 à Cannes dans la catégorie « Un certain regard », et L’Homme qui a vendu sa peau, sélectionné dans la section « Orizzonti » de la Mostra de Venise en 2020. Depuis son premier long-métrage, Le Challat de Tunis, en 2014, la cinéaste, formée à l’Ecole des arts et du cinéma de Tunis et à la Fémis, aime brouiller les pistes, jouer avec les codes de la fiction et du documentaire ; « deux genres, dit-elle, qui dialoguent bien ». En lice pour la Palme d’or, Les Filles d’Olfa, son cinquième long-métrage, retrace dix ans de la vie d’une femme de milieu modeste dont deux filles ont rejoint l’Etat islamique (EI) en Libye en 2014.

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Asmae El Moudir, pour La Mère de tous les mensonges

Cette quête d’un langage à la lisière de la fiction et du documentaire anime également la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir, 32 ans. « Je pars toujours d’une photo pour raconter mes histoires », raconte la jeune femme, qui explore dans La Mère de tous les mensonges les non-dits familiaux et les émeutes du pain de 1981 à Casablanca. Faute d’images d’archives, la réalisatrice, elle aussi diplômée de la Fémis après des études au Maroc, fait dialoguer des figurines avec les vivants et crée ses propres archives en filmant dans un atelier – un espace où « la parole peut se libérer sans mettre personne en danger ».

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Mohamed Kordofani, pour Goodbye Julia

Le réalisateur soudanais Mohamed Kordofani, âgé de 40 ans, est également traversé par des questions de forme. Sélectionné dans la catégorie « Un certain regard », son premier long-métrage, Goodbye Julia, raconte l’histoire de deux jeunes femmes, l’une dans le sud, l’autre dans le nord du Soudan. « Ce n’est pas pour autant un film politique », explique-t-il, lui qui était en postproduction à Beyrouth quand la guerre a éclaté à Khartoum. « Le tournage a été très difficile, souvent interrompu par les gaz lacrymogènes », explique le réalisateur, joint par téléphone à Dubaï. « Sans la passion de toute l’équipe – la plupart des techniciens n’avaient pas 25 ans –, ce film n’aurait pas vu le jour », confie-t-il.

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Kamal Lazraq, pour Les Meutes

Né à Casablanca en 1984, le réalisateur Kamal Lazraq présente à Cannes son premier film. Les Meutes suit Hassan et son fils Issam, qui vivent de petits trafics dans les quartiers populaires de la capitale économique marocaine. Sorti de la Fémis – lui aussi – en 2011, le réalisateur explorait déjà les marges urbaines dans son court-métrage Moul Lkelb (L’Homme au chien).

Baloji, pour « Augure »

Baloji, né en 1978 à Lumumbashi, en République démocratique du Congo (RDC), vit en Belgique et fait figure d’ovni dans ce paysage de jeunes cinéastes formés dans les meilleures écoles. Autodidacte sans cesse recalé dans les commissions, il a commencé en 2018 à produire ses courts-métrages, « hybrides, oniriques », avant de réaliser son premier long-métrage, Augure, « un film choral sur la sorcellerie dans une Afrique fantasmagorique ». Convoquant également le « réalisme magique », le musicien, poète, styliste et réalisateur se félicite d’être à Cannes : « C’est fabuleux, car cela donne une légitimité à ce genre de propositions. »

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