Au Burkina Faso, le cinéma défie le terrorisme

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La file des spectateurs s’allonge ce 25 février devant la salle du CanalOlympia Yennenga de Ouaga 2000, un quartier huppé de la capitale burkinabée. Contrôle des sacs et passage au détecteur de métaux ralentissent le flux de ceux qui vont assister à la projection du film d’ouverture de la 28édition du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, organisé tous les deux ans. Aline B. (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille), une Suissesse de 38 ans, suit les consignes des vigiles à l’entrée.

Ici, personne n’a oublié les trois attentats qui ont frappé le centre-ville, en 2016 (dans les bars Taxi Brousse et Cappuccino et l’hôtel Splendid), en 2017 (dans le café Istanbul), puis contre l’ambassade de France et l’état-major général des armées burkinabées, en 2018. « On a conscience que ce genre d’événement est une cible de choix », souffle cette monteuse suisse. Elle a fait le déplacement malgré les avertissements de son pays, qui déconseille à ses ressortissants de voyager dans cette région du Sahel en raison de la menace terroriste et du risque de « tensions politiques ».

Instabilité politique

Alors que le Burkina Faso s’enfonce un peu plus dans la terreur djihadiste, avec des attaques devenues quasi quotidiennes et près de 40 % du territoire échappant au contrôle de l’Etat, les autorités ont décidé de maintenir le plus grand festival du continent, du 25 février au 4 mars. Un « acte de résistance », clament les organisateurs. Mais aussi un pied de nez à l’instabilité politique après le départ des forces armées françaises exigé par la junte en janvier et au moment où les chancelleries occidentales colorent la carte du pays en rouge pour dissuader leurs ressortissants d’y accéder.

« On s’est demandé si on y arriverait, il a fallu accélérer et convaincre les professionnels de venir. » Alex Moussa Sawadogo, délégué général du Fespaco

Depuis qu’elle a atterri à Ouagadougou, Aline B. envoie régulièrement des nouvelles à sa famille, qui est inquiète. Ces derniers mois, les médias occidentaux ont couvert les violentes manifestations contre la présence française. « Je ne ressens pas vraiment d’hostilité, rétorque la jeune femme, il est important de montrer que l’on ne déserte pas et que les échanges culturels entre le Nord et le Sud continuent. »

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Plusieurs rangées de policiers contrôlent l’accès au cinéma. Cette année, le dispositif de sécurité a été renforcé pour accueillir les quelque 10 000 festivaliers attendus. A quelques mois du lancement, au moment où un coup d’Etat, le deuxième en l’espace de huit mois, renversait, le 30 septembre 2022, le pouvoir en place, les préparatifs se sont transformés en « course contre la montre » pour les organisateurs. « On s’est demandé si on y arriverait, il a fallu accélérer et convaincre les professionnels de venir », explique Alex Moussa Sawadogo, le délégué général du Fespaco, sans donner plus de précisions sur le nombre de forces de l’ordre déployées.

Des films sur la crise au Sahel

Des pick-up remplis de militaires en treillis, kalachnikovs à la main, quadrillent les rues autour du Palais des sports, où s’est tenue la cérémonie d’ouverture du festival, placé sous le thème de la paix. Assis dans les gradins, Idrissa Nikiema regarde les danseurs sauter sur la scène aux rythmes des tam-tams guerriers.

A la cérémonie d’ouverture de la 28ᵉ édition du Fespaco, au Palais des sports de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 25 février 2023.

« Ce pays ne mourra pas ! », gronde la présentatrice. Des frissons parcourent le public. « On est là pour montrer que l’on reste debout, pour diffuser un peu de lumière face aux terroristes qui veulent nous imposer l’obscurantisme ! », clame cet enseignant, les yeux brillants. Plusieurs de ses collègues ont dû abandonner leur classe dans le nord du pays, où les combats se multiplient.

A la sortie, les caméras des journalistes étrangers se bousculent sur le tapis rouge. Abdou Diallo prend une photo en famille pour immortaliser l’événement. Il est « très fier de montrer au monde » une autre image de son pays, ensanglanté par les violences. Ses deux enfants, de 14 et 7 ans, vivent leur « premier Fespaco ». Ce technicien, originaire d’un village du centre-nord désormais vidé de ses habitants, tenait à ce qu’ils « rêvent un peu », le temps d’un film.

Les échos de la guerre, à moins d’une centaine de kilomètres de la capitale, sont pourtant dans tous les esprits. Pour la première fois, le comité de sélection a reçu de nombreux films portant sur la crise au Sahel. « Au début on était choqués, embrouillés, mais les cinéastes burkinabés commencent à traiter cette thématique », se félicite la réalisatrice Apolline Traoré, en lice pour l’Etalon d’or de Yennenga (le grand prix du Fespaco), avec Sira, un long-métrage sur l’histoire d’une jeune Peul rescapée de violences intercommunautaires. Un projet qui lui a été inspiré par le massacre de Yirgou, dans le centre-nord du Burkina Faso, où, en 2019, plus d’une cinquantaine de personnes ont été tuées.

« Ouaga » souffle. Le temps d’une semaine, les hôtels, désertés par les touristes, se remplissent à nouveau. Même si à l’Hôtel Ramada Pearl, le personnel compte « moitié moins de réservations » que les précédentes éditions. « On a très peu d’Européens, on a surtout des Maliens et des Sénégalais », rapporte le réceptionniste. Sur l’avenue Kwame-NKrumah, autrefois haut lieu de la fête ouagalaise, la musique vibre dans la nuit. Au Taxi Brousse, les murs du bar portent toujours les traces d’impacts des balles des terroristes. On boit et on danse pour « oublier ». Des clients trinquent au cinéma, mais « surtout au retour de la paix ! »

Le site du Fespaco

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