Il est des images qui marquent à vie. Dont on ne guérit pas. Qui ne vous quittent plus. Parmi elles, je me souviens d’un cliché où l’on pouvait voir un couple en maillot de bain dans la mer. Elle en deux-pièces motif Burberry et casquette, lui avec un bermuda de bain blanc et des lunettes noires : il s’agissait de la « une » d’un numéro du magazine people Voici paru en 2002. Il y eut, en ce qui me concerne, un avant et un après. Je n’aurais jamais pu imaginer, en effet, Alain Chabat (mon idole de jeunesse avec Barthes et Gotlib) en couple avec Ophélie Winter. Cette photo prouvait que c’était possible.
Alors jeune et impétueuse, je me suis révoltée sans chercher à savoir si mon Nul vénéré avait de bonnes raisons de l’aimer. Je préférais en rester à mes prudents préjugés. Jalouse, moi ? Non. Déboussolée. Alain Chabat, ce phare éternel de l’humour et de la grâce, avait choisi de s’enticher d’une jeune fille magnifique, talentueuse, célèbre, quand il aurait pu passer ses jours avec une spécialiste à lunettes de l’élevage ovin au XIIe siècle. Incompréhensible.
Des décennies ont passé et j’ai senti qu’il était temps que je sorte de mon état de sidération. J’ai donc lu l’autobiographie d’Ophélie Winter, Résilience (éd. Harper Collins, 2021), crayon à la main. J’ai néanmoins retardé le plus longtemps possible les pages dans lesquelles elle évoque Alain, histoire de ne pas immédiatement faire resurgir le traumatisme.
« Ados insupportables »
J’ai été très touchée par sa vie. Très difficile à de nombreux moments : une mère la traînant dans les castings, méchante et malhonnête avec elle ; un père absent et négligent ; un oncle agresseur sexuel, la maladie… J’ai admiré son courage, son audace et ses amours (Prince, MC Solaar, notamment). J’ai adoré qu’elle ait pu être, brièvement et secrètement, amoureuse de Bernard Le Coq. Et je l’ai félicitée d’avoir refusé la demande en mariage d’Albert de Monaco.
De l’eau est passée sous les ponts. Je suis désormais capable d’encaisser des phrases évoquant Alain Chabat : « Nous avons passé les jours suivants collés l’un à l’autre, comme des ados insupportables se roulant des pelles à longueur de journée, en privé comme en public. Infréquentables » ; « Je me souviens avec nostalgie d’un séjour en Thaïlande, dans un complexe hôtelier cerné de villas de luxe. »
Je n’en suis pas encore au stade de la sororité pour autant. Je vois bien qu’entre Ophélie et moi, il y a quelques différences notables : je ne pars jamais à Minneapolis (Minnesota) pour le week-end, je ne crois pas aux bienfaits des médecines alternatives, je ne prie pas et je n’ai pas la nostalgie d’un séjour dans un complexe hôtelier cerné de villas de luxe. Mais qu’importe. C’est peut-être mieux ainsi. Cette distance me permet d’aimer lire, sous sa plume, des phrases comme « les voitures sont une source de sagesse inépuisable pour qui sait les écouter », « côté acting, j’améliorais ma technique au fil des tournages » ou « depuis trente ans que je sillonne le marché du bon mec ». Voilà, maintenant je l’aime bien. Et j’adore toujours Alain.
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