Achille Mbembe : « Réinventer la démocratie à partir du vivant »

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« La Communauté terrestre », d’Achille Mbembe, La Découverte, 208 p., 20 €, numérique 15 €.

Redéfinissant les limites du vivant et de la technologie à l’ère d’un dérèglement climatique qui engendre peur de l’effondrement et repli sur soi, le philosophe camerounais Achille Mbembe propose, dans La Communauté terrestre, de penser au-delà des frontières. Appréhendée dans son unité comme un corps organique, mais aussi social et politique qui accueille la vie, toutes les vies, humaines et autres qu’humaines, la Terre serait, selon lui, la « dernière utopie » à réaliser.

Qu’est-ce qui caractérise l’ère de l’« anthropo-technocène » dans laquelle, dites-vous, nous sommes entrés ?

La technosphère et la biosphère sont désormais inséparables. Elles se relaient et se nourrissent l’une de l’autre. Pour rendre compte de cette inséparabilité, nous avons besoin d’une conception élargie de la vie, de la communauté et du soin qui intégrerait non seulement les événements typiquement écologiques, mais aussi les phénomènes technologiques. Cela suppose que soient réconciliées deux grandes familles de pensée qui, trop souvent, tendent à s’ignorer, celle de la critique écologique et celle de la critique de la technologie et des objets.

C’est à cette condition que l’on surmontera l’opposition entre le vivant et l’artificiel. D’où l’importance accordée dans mon livre à des auteurs comme le préhistorien André Leroi-Gourhan [1911-1986] pour ses réflexions sur les continuités qui existent entre la création des symboles et la création des outils, ou encore sur la technique comme prolongement du corps. D’où aussi, et surtout, le recours aux pensées animistes africaines, qui servent de soubassement à mon approche du vivant. Cela permet de comprendre que l’une des caractéristiques majeures de l’anthropo-technocène est la proximité radicale entre les êtres, les personnes et les objets.

Lire aussi (2016) : L’animisme peut-il sauver le monde ?

Serions-nous face à une nouvelle rupture ontologique ?

C’est ce que je suggère. Dans tous les cas, une faille s’est ouverte, et il n’est plus possible de la recouvrir d’un épais voile d’indifférence. Les humains ont toujours été un peu plus que des humains. Même chose pour les objets, qui ont toujours été un peu plus que des outils. C’est ce que nous ont toujours appris les pensées animistes africaines. Leroi-Gourhan montre, de son côté, que chaque innovation technologique a un potentiel de transformation des humains en autre chose que ce qu’ils étaient auparavant. L’humain d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir, par exemple, avec celui de la préhistoire ou de l’âge des Lumières. Cette transformation ontologique de l’humain, mais aussi des objets, explique les différentes sortes de crise – de la démocratie, de la représentation, du sujet… –, auxquelles nous faisons face.

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