A Vilnius, un salon du livre sur le pied de guerre

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Certaines journées d’hiver, la tour disparaît dans la brume. Mais, ce matin du 23 février, le ciel est dégagé au-dessus de Vilnius, et la foule qui afflue dans les vastes halls de Litexpo, le parc des expositions de la capitale lituanienne, au pied de la colline d’où s’élève le monument, ne peut échapper à ce géant de plus de trois cents mètres, semblable, avec son long mât, sa cabine ovoïde, sa gigantesque antenne, à toutes les tours de télévision qui parsèment les anciennes cités de l’Union soviétique et du bloc de l’Est.

Qu’on fasse la queue pour entrer au Salon du livre, qui vient d’ouvrir ses portes – il se tiendra jusqu’au 26 –, qu’on sorte fumer une cigarette ou acheter une crêpe dans un food truck, elle surgit, et avec elle les souvenirs dont elle est devenue le symbole. Ceux de la lutte pour l’indépendance qui a vu la Lituanie, entre 1989 et 1991, en même temps que les autres pays baltes, la Lettonie et l’Estonie, s’arracher à l’URSS et contribuer à la détruire, comme du sacrifice des quatorze Lituaniens qui y sont morts lors de l’assaut donné par les troupes soviétiques le 13 janvier 1991.

Deux jours plus tôt, l’Armée rouge avait envahi la ville. Nomeda, rencontrée dans les allées du salon, se souvient des vitres qui vibraient dans l’appartement de ses parents au passage des chars. Les soldats étaient partout, occupaient des bâtiments publics, tiraient sur la foule rassemblée près du Parlement. Tout semblait s’effondrer, comme si l’oppression que le pays subissait depuis cinq décennies se refermait sur lui, balayant le formidable désir de liberté qui l’électrisait depuis deux ans.

En réalité, la partie, pour les Soviétiques, était déjà perdue. Face à la réaction massive de la population, qui s’était précipitée dans les rues après la tragédie de la tour de télévision, l’Armée rouge se retirait du pays dès le soir du 13 janvier. En septembre, le monde reconnaissait l’indépendance de la Lituanie. A la fin de l’année, l’URSS avait cessé d’exister. Mais, cela, Nomeda, calfeutrée chez elle, ne pouvait le deviner. Les chars avançaient à travers la ville, et, plus de trente ans après, leur grondement sourd continue de la hanter. « Tout m’est revenu l’an dernier, quand les Russes ont envahi l’Ukraine », ajoute-t-elle.

Le réveil d’une vieille terreur

Kristina Sabaliauskaite, l’une des romancières les plus en vue du pays – son roman L’Impératrice de Pierre, qui vient de paraître en France (Quai Voltaire), s’est vendu à 100 000 exemplaires, score inouï dans un pays de 2,8 millions d’habitants –, était adolescente, elle aussi, en 1991. « Mon lycée était juste en face du Parlement, raconte-t-elle. J’ai entendu les fusillades. J’ai même reçu quelques coups de matraque. Quand, il y a un an, j’ai vu les premières images de l’invasion de l’Ukraine, j’ai ressenti exactement les mêmes symptômes physiques qu’alors. »

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