La montagne à l’envers. L’envers, c’est l’enfer, le revers du monde et il y fait diablement sombre. Les pics enneigés se fichent dans le sol et laissent surgir des gouffres charbonneux. Des roches noires découpent des côtes sauvages dévorées par des remous. Au-dessus de cette tempête de formes mi-terre, mi-mer, un miroir ovale remet à l’endroit l’univers sans pour autant calmer le magma.
Cette image hypnotisante dessinée à la craie sur ardoise par la plasticienne britannique Tacita Dean ouvre le spectacle The Dante Project, à l’affiche jusqu’au 31 mai, du Palais Garnier, à Paris. Et quel morceau ! Quelle frappe ! Chorégraphiée par Wayne McGregor, sur une création musicale affolante du compositeur Thomas Adès, dans les décors et costumes de Tacita Dean, cette production ambitieuse galvanise. L’alliance de ces trois artistes très en vue, qui semblent indissociables ici, emporte par son souffle global et ample dans cette traversée secouée sur les traces de Dante. Et le public, mercredi 3 mai, de répondre par des vagues d’applaudissements aux quarante interprètes venus saluer.
Pour sa cinquième collaboration avec le Ballet de l’Opéra national de Paris depuis 2017, Wayne McGregor, qui vient parallèlement de signer la chorégraphie d’ABBA Voyage, concert virtuel toujours en tournée du groupe suédois joué par des avatars numériques, revient avec un grand spectacle narratif en trois actes. Créé en 2021 pour le Royal Ballet de Londres, dont il est artiste en résidence depuis 2006, coproduit par l’Opéra national de Paris, The Dante Project célébrait le 700e anniversaire de la mort de l’écrivain italien.
Incarnation saisissante
De l’obscurité infernale à l’anamorphose intersidérale du paradis en passant par le purgatoire dans ses nuances de mauve, le cycle dantesque trouve une incarnation saisissante en deux heures et quarante-cinq minutes, entractes compris. Le registre illustratif lié à un livret découpé selon le schéma de La Divine Comédie surprend à première vue chez McGregor. Ses pièces sont plutôt des récits abstraits, même si ultraphysiques. S’appuyer sur une œuvre littéraire aussi énorme que celle de Dante Alighieri (1265-1321) – l’idée vient d’Adès – ressemble à un nouveau défi excitant pour celui qui multiplie les expériences depuis trente ans. A cause de Dante bien sûr, et de la luxuriante partition écrite par Thomas Adès. Et c’est non seulement l’enfer, le purgatoire et le paradis réunis, mais une montagne sonore si escarpée, si touffue qu’il ne faut pas avoir peur de s’y confronter.
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