Dans le monde d’avant, c’était simple. Nous choisissions un film, un livre, un disque, un spectacle et on regardait la télévision. Aujourd’hui il faut ajouter une série sur une plate-forme, une vidéo sur TikTok, une autre sur YouTube, une chanson sur Spotify, un jeu vidéo, un podcast, et l’on en passe. L’offre est exponentielle, la concurrence impitoyable, et nous sommes submergés. Pourquoi faisons-nous tel choix ? Que ressentons-nous ? Avec quelles conséquences ?
Vous trouverez moult essais sur la façon dont les algorithmes et l’intelligence artificielle façonnent nos décisions. Mais pas sur ces questions intimes. Bruno Patino, le président d’Arte, s’y risque dans un petit livre stimulant, Submersion (Grasset, 144 pages, 16 euros), qui explore nos sentiments face au déluge d’images, de sons et de mots. Avec cet opus, il prolonge La Civilisation du poisson rouge (Grasset, 2019) et Tempête dans le bocal (Grasset, 2022), où il explorait la façon dont le numérique brouille notre temps disponible.
YouTube propose cinq cents heures de nouvelles vidéos chaque minute et les données vont augmenter de 40 % par an jusqu’à 2028. Patino est un bon cobaye, avouant que son téléphone portable contient 7 865 musiques, 23 000 épisodes de séries, 842 films et 529 livres. Un cobaye masochiste. Car il est inquiet. Il dit son angoisse en un récit moins techno que sensible, littéraire même, et c’est déjà une réponse à la machine à calcul.
Il commence par : « Nous avons perdu la nuit ». La découverte culturelle a perdu son aura, elle s’étire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nos corps changent, nous avons la nuque baissée, l’assoupissement se répète devant une série, nous écoutons d’une oreille, hésitons quinze minutes avant de choisir un programme, trente minutes pour une famille en quête d’un film à regarder ensemble avant de renoncer et d’entendre « les portes claquer ».
Paralysie et angoisse
De cette submersion, Patino creuse les paradoxes. Plus l’offre grossit, plus on est malheureux. L’avalanche de vidéos ou de musiques nous paralyse et nous angoisse. « L’abondance était une promesse, elle est devenue un problème. » On entend « Netflix, ce n’est plus ça », alors que ce service offre trente-deux mille heures de programmes. On finit par regarder ce qu’on ne désire pas vraiment. D’autres font le récit, quasiment sur le divan, du moment où ils ont renoncé à voir, lire ou écouter tout ce qu’ils jugeaient importants (The Guardian du 20 novembre 2021).
Autre paradoxe : plus l’offre est grande, moins on consomme. L’auteur s’appuie sur des études de psychologues aux Etats-Unis, notamment celle de Sheena Iyengar et Mark Lepper, « When Choice is Demotivating » (2000) et le livre de Barry Schwartz, Le Paradoxe du choix (Michel Lafon, 2006). Ces auteurs nous disent que face à des pots de confiture ou des jeans, le consommateur achète moins s’il y a trop d’options – le risque de mauvais choix s’accroît et rend anxieux.
Il vous reste 51.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.