A la Punta della Dogana, les « Icônes » de François Pinault tanguent entre le sacré et le sacrilège

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Estampillées « Icônes » par le titre de l’exposition, 80 œuvres d’une trentaine d’artistes, souvent monumentales et pour la plupart propriété de François Pinault, sont réunies jusqu’au 26 novembre à la Punta della Dogana (la Pointe de la Douane), l’un des deux musées que le collectionneur français a établis à Venise.

Qu’on ne s’attende pas à y être confronté à des Christ au regard sévère, peints sur fonds dorés. L’icône, ici, est à prendre dans son acception moderne, celle que lui donnèrent, au début du XXe siècle, deux artistes russes (absents de l’exposition), tous deux pionniers de l’abstraction. Il y avait une part de ruse dans leur propos : comment rendre, sinon acceptables du moins tolérables, des tableaux qui, pour leurs contemporains, n’avaient ni queue ni tête ?

Le premier, Vassily Kandinsky (1866-1944), affirme, en 1910, dans son livre Du spirituel dans l’art, que ses abstractions ont, comme les icônes, une dimension sacrée. Les théologiens orthodoxes pourraient y reconnaître le noûs, ou noùs selon les graphies, un concept complexe de la philosophie néoplatonicienne, qu’on résumera très sommairement comme cette part de l’esprit, de l’intellect, par laquelle la grâce divine pénètre l’âme.

C’est ce qui permettait aux anciens Byzantins de faire admettre que leurs icônes n’étaient pas des idoles : elles étaient habitées par le noûs, une parcelle du divin. La personne représentée est littéralement présente dedans. D’où, selon certains historiens d’art, la perspective inversée qu’on y trouve – le point de fuite n’est pas derrière le tableau, mais devant, où se situe le spectateur. Vous ne regardez pas le Christ ou le saint, c’est lui qui vous regarde.

Le second, Kasimir Malevitch (1879-1935), est également très radical. Lorsqu’il peint, en 1915, son Quadrangle, un carré noir sur fond blanc qu’on pense alors être le degré zéro du tableau (on a fait mieux depuis) et l’expose à Petrograd, il choisit de l’accrocher de biais, à l’angle de deux murs, très en hauteur. Soit, dans les intérieurs russes, le « coin rouge », ou le « beau coin », celui que l’on réserve aux icônes, précisément. L’abstraction a donc lancé son annexion de l’icône il y a plus d’un siècle.

Lumière divine

La part de la collection de François Pinault exposée sous ce titre complexifie encore la chose. On n’y voit ainsi aucun des pionniers précités, mais pas non plus leurs successeurs qui avaient des préoccupations mystiques avouées dans leur pratique picturale. On pense, notamment, à Mark Rothko, dont François Pinault possède pourtant un bel ensemble. Les commissaires, Emma Lavigne et Bruno Racine, ont préféré la mettre sous l’égide de Lucio Fontana (1899-1968), dont un tableau accueille le visiteur.

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