ARTE RADIO – À LA DEMANDE – PODCAST
C’est une histoire de famille – unique, et pourtant. Une histoire de transmission, faite de silences et de sons. Une histoire privée – rendue publique pour la première fois. C’est surtout et d’abord une histoire de cœur, et c’est bouleversant. Une histoire qui commence par un raclement de gorge et un coup de téléphone. Léa Chatauret, 39 ans, monteuse de films, appelle son père. Lui dit que son podcast avance et lui demande s’il est toujours d’accord pour se livrer publiquement. Commence alors l’histoire de Jean.
Père pudique mais aimant, cet ingénieur du son passionné de musique classique aura voyagé à travers le monde pour enregistrer les plus grands jusqu’à ce jour, à Marseille, il y a quelques années, où tout bascule : AVC. A ses battements de cœur à lui défaillants se superposent bientôt ceux d’Aglaé, qui grandit dans le ventre de Léa, et ceux de Geneviève (la mère de Jean, 96 ans), hospitalisée pour insuffisance cardiaque.
Léa Chatauret le sent alors : « Il se passe quelque chose dans nos corps et dans notre cœur. » D’autant que sa grand-mère meurt tandis que son père, dans le même hôpital, reçoit sa greffe. Quand elle lui demande comment il va, ce dernier lui répond : « Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai l’habitude de dissocier mon corps de ma tête. » Comme toutes celles et tous ceux qui ont subi des agressions. Léa Chatauret comprend que son intuition – qui lui avait alors fait enregistrer son père et sa grand-mère – n’aura pas été vaine.
Au printemps, elle décide donc de reprendre les enregistrements. Elle demande cette fois à son père de revenir sur ce qu’il lui avait dit, il y a une dizaine d’années – à savoir qu’il avait été sexuellement agressé par son professeur de piano, qui dirigeait aussi la chorale : « Il y avait une partie musicale et puis il y avait la suite : c’est comme ça que ça a commencé », confie Jean au micro. C’était en 1962 : il avait 9 ans. Cela durera jusqu’en 1966, année de ses 13 ans, où il sera « viré » – il n’arrivait plus à travailler son piano sereinement.
Une parole intime
Que signifie ce silence dans lequel Jean a vécu avant de se confier, tardivement, à sa mère, qui n’a pas su entendre ? Dans quelle mesure est-il constitutif de l’homme, du fils et du père qu’il est, qu’il fut ? Et comment, devenue mère, Léa peut-elle faire face à cet héritage ? Ce sont quelques-unes des questions que pose, avec une intelligence sensible, son podcast. Elle en signe la réalisation avec Samuel Hirsch et a été bien accompagnée par Silvain Gire – le cofondateur et ancien responsable éditorial d’Arte Radio, qui a laissé sa place à Perrine Kervran, en août – et son équipe.
Alors que résonnent notamment l’Ave verum, de Mozart, et les Impromptus, de Schubert, c’est l’histoire de Jean qui enfin s’entend si bien. Une histoire et une parole intime, on l’a dit, mais une parole qu’il était nécessaire pour Léa Chatauret de rendre publique : « D’une part, parce que j’espère que cette parole pourra être utile à toutes celles et ceux qui n’ont pas pu dire ou être entendus. D’autre part, parce que je pense que ce sera plus fort pour mon père. »
De fait, comme Léa Chatauret nous l’a confié en plein cœur de l’été, son père a salué son travail. Mieux, elle se réjouit de le voir, depuis, si littéralement libéré. Suffisamment pour entreprendre de retrouver d’autres enfants de la chorale des Petits Chanteurs de la Renaissance dont il fit partie et qui, peut-être, ont, comme lui, été victimes d’agressions.
A cœur ouvert, podcast de Léa Chatauret, réalisé avec Samuel Hirsch (Fr., 2023, 48 min). Disponible à la demande sur Arte Radio, à partir du mercredi 13 septembre.