« 95 », de Philippe Joanny : en cette année de terreur

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« 95 », de Philippe Joanny, Grasset, 192 p., 19 €, numérique 14 €.

Dans la cour d’un immeuble, un jour d’octobre 1995, Philippe Joanny voit une plaque qui « honore la mémoire de Charles, Abel, Emile, Eugène, Adolphe et Joseph, des habitants (…) tombés sur le champ de bataille de la Grande Guerre, des gamins morts avant d’avoir pu vivre et tombés aujourd’hui dans l’oubli, comme s’ils étaient morts une deuxième fois ». Vingt-cinq ans plus tard, c’est le souvenir d’autres « gamins » qu’il s’agit pour lui d’honorer, les amis que le sida a fauchés, et dont il n’est pas question de laisser s’effacer la trace sans rien faire. 95, le deuxième roman autobiographique de Philippe Joanny, est en quelque sorte le contraire d’une froide plaque funéraire : un texte vif, bruissant des multiples voix qu’il fait ressurgir. Stroboscopique dans sa manière de braquer la lumière d’un personnage à l’autre, d’une scène à l’autre. N’est-ce pas le moins pour une bande de garçons ayant passé tant de temps à danser sous des rayons laser ?

Overdose à l’issue d’une nuit de fête

La référence à Quatrevingt-Treize, de Victor Hugo (1874), n’a évidemment rien de fortuit : en cette année 1995 règne la terreur. Un an plus tard, l’espoir de traitements, avec les trithérapies, naîtra ; des vies seront prolongées ; bientôt, l’annonce d’une séropositivité ne sera plus une condamnation à court terme. Mais, en 1995, on n’en est pas là. Voilà plus d’une décennie que le VIH sème la mort. Le précédent livre de l’auteur, Comment tout a commencé (Grasset, 2019), s’achevait alors que l’ombre du « cancer gay » commençait à s’étendre, teintant sombrement l’entrée de Philippe dans la vie sexuelle.

Quand s’ouvre 95, le même Philippe se répète une phrase comme un mantra : « Ils tombent les uns après les autres et on les laisse tomber. » Le dimanche 15 octobre, ç’a été le tour d’Alex. Overdose à l’issue d’une nuit de fête. Alex, comme beaucoup de garçons dans son entourage, fait partie de ceux qui, face à la « catastrophe », ont décidé d’opter pour « la politique de la terre brûlée » : « Ceux-là n’ont plus d’espoir. Tous leurs amis sont morts et eux-mêmes sont persuadés que leur sort est scellé. Un jour ou l’autre, ils abandonnent la partie, ils lâchent prise et se détruisent à petit feu. Le cocktail est à chaque fois le même, encore et encore plus de fête, encore plus de drogues et toujours plus de sexe, jusqu’à la chute forcément brutale. C’est un choix qu’il faut respecter. Au lieu de crever comme des chiens dans un lit d’hôpital, ils préfèrent partir en beauté. »

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