FRANCE 5 – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Dans les décombres d’une Europe dévastée en 1945, ils sont des millions d’enfants sans foyer, en haillons, chaussés de semelles de bois, affamés, perdus. Certains ont échappé aux horreurs nazies, d’autres ont perdu leurs parents allemands ou polonais. D’autres encore ont été enrôlés de force à 8 ou 9 ans dans l’armée du Reich ou ont été placés dans des orphelinats. Qu’ils aient 3 ou 16 ans, la fin de la guerre ne signifie pas pour eux la fin des tourments. Ces gamins aux regards graves et aux joues creuses errent sur les routes, se mêlant aux flux des réfugiés adultes, ou se cachant de peur d’un nouveau malheur.
Ce documentaire rythmé par la voix enveloppante de Céline Sallette raconte, à l’aide de témoignages, de scènes reconstituées, d’archives colorisées et de journaux intimes de médecins, d’infirmières ou de travailleurs sociaux, l’histoire de ces enfants qui vont devenir des butins de guerre aux mains d’Etats qui cherchent à se reconstruire.
Car, au-delà de la force des images, l’intérêt de ce documentaire est d’analyser la manière dont les vainqueurs, Occidentaux et Soviétiques, se sont, sous couvert de l’intérêt supérieur de ces victimes, lancés dans une cynique course aux enfants, par opportunisme démographique ou par peur de les voir endoctrinés par le totalitarisme stalinien.
Effacements d’identité
Dans une Europe encore secouée par la haine et l’antisémitisme, les opérations de tris, d’adoptions forcées et d’effacements d’identité sont au cœur de ce documentaire passionnant, tout comme les actions humanitaires menées à grande échelle par l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (United Nations Relief and Rehabilitation Administration, ou Unrra), organisme rassemblant quarante-sept pays.
Douze mille médecins, infirmières et travailleurs sociaux vont être envoyés par l’Unrra au cœur de cette Europe en ruine pour protéger, nourrir et rapatrier les réfugiés. Mais la tâche des sauveteurs est gigantesque. Et que faire de tous ces enfants sans identité ? En Allemagne et en Autriche, dans des orphelinats, des hôpitaux, des couvents, l’Unrra découvre des milliers d’enfants venus de l’Est. Que font-ils là ? Ils sont les victimes de la gigantesque opération de « germanisation des enfants » mise en place par les nazis.
Des milliers d’enfants venus de l’Est sont les victimes de la gigantesque opération de « germanisation » mise en place par les nazis
Dès 6 ans, des petits Polonais ou Tchèques considérés comme « racialement purs » avaient été kidnappés, retirés de force à leurs parents, enlevés dans les jardins publics, à la sortie de l’école, avant d’être confiés à des familles allemandes ou autrichiennes. Le temps passe, la guerre froide s’installe, et les enfants perdus sont de nouveau victimes du contexte politique. Les Soviétiques mettent un terme à l’action de l’Unrra dans leur zone d’occupation et transfèrent en URSS des enfants polonais, tchèques, roumains, hongrois pour en faire des citoyens soviétiques.
Mais la France, qui a un besoin vital de se repeupler, n’est pas en reste. « Je vous demande d’examiner la venue en France d’enfants de toutes nationalités, orphelins ou isolés, actuellement en Allemagne », demande Charles de Gaulle aux autorités militaires. Tous les moyens seront bons pour rapatrier en France des milliers d’enfants, dont ceux qui sont nés des amours entre soldats français et femmes allemandes. Sans surprise, le sort des cinq mille enfants métis nés des relations entre soldats noirs américains et femmes allemandes sera encore moins enviable.
1945, les enfants du chaos, documentaire de Julien Johan et Agnès Pizzini (Fr., 2022, 86 min). Diffusé le dimanche 22 janvier à 20 h 55 sur France 5, puis disponible à la demande pendant quatre mois sur le site France.tv.