Veste noire, cheveux décolorés, Xu Pengcheng regarde par-dessus son épaule puis, une fois s’être assuré que la voie est libre, aide son équipe d’explorateurs urbains à passer par la fenêtre brisée d’un bâtiment désaffecté de Shanghai.
Venue d’Occident, l’exploration urbaine (ou « urbex ») séduit de plus en plus d’adeptes en Chine.
Cela consiste à explorer ou photographier des lieux désaffectés ou interdits d’accès, malgré les dangers et l’illégalité.
Le phénomène connaît un regain d’intérêt en Chine avec la crise du secteur immobilier, qui a laissé de nombreuses villes parsemées d’immeubles inachevés et désertés.
Xu Pengcheng, 29 ans, travaille dans le secteur des nouvelles technologies. Il s’est fait connaître sur les réseaux sociaux en partageant des photos de vieilles écoles ou de cinémas à l’abandon.
Il compte des centaines de milliers d’abonnés.
« Quand les gens voient ces photos, ils trouvent ça super nouveau, il y a un effet de nouveauté. Ils trouvent ça super intéressant », explique-t-il à l’AFP.
« Ils réalisent que tellement de bâtiments abandonnés existent et qu’ils peuvent être si photogéniques. Ça suscite naturellement chez eux de la curiosité », souligne-t-il.
L’AFP a suivi Xu Pengcheng et ses acolytes en banlieue de Shanghai, dans un ancien hôtel désaffecté, qui ressemble à un château médiéval préfabriqué.
Les lieux semblent à l’abandon depuis plusieurs années: ici une vieille table de mah-jong, ça et là des draps ou encore des piles d’assiettes.
– Béton et poussière –
Sur un mur de la salle de bal, un tag en lettres rouges proclame « Longue vie au président Mao », le fondateur de la République populaire de Chine en 1949.
La crise du marché immobilier chinois a laissé une multitude de chantiers de construction non terminés. Ils sont devenus des terrains de jeu pour les amateurs d’urbex.
« Je ne pense pas qu’on trouve ce genre d’endroits en Europe », affirme Brin Connal, un Britannique adepte de la discipline.
« En Chine, il y a énormément de bâtiments inachevés comme celui-ci », souligne-t-il.
A Shanghai, le Pentagon Mall est devenu un lieu emblématique pour ces explorateurs, qui y laissent des messages sur les murs du dernier étage.
L’aspect « vraiment spécial en matière d’exploration urbaine en Chine », c’est qu’il y a « un très fort sentiment d’appartenance à une communauté », déclare « Sean », qui ne veut pas donner son vrai nom.
Situé dans le district de Pudong (est), ce centre commercial avait presque été achevé en 2009, mais les investissements ont été interrompus.
Aujourd’hui, la structure de béton est à l’abandon. Des carreaux cassés recouvrent le sol et un plan du chantier est presque entièrement recouvert de poussière.
– « Vraiment dangereux » –
Certains espaces montrent des signes de vie récente: des emballages de plats à emporter, des paquets de cigarettes, voire du linge suspendu.
« A Shanghai, les gens trouvent toujours un moyen d’utiliser ces bâtiments, même s’ils ne sont ni terminés ni réellement habitables », observe « Nov », le partenaire d’exploration de Sean qui s’identifie aussi par son surnom.
Mais les entreprises derrière les réseaux sociaux chinois ne voient pas forcément cette pratique d’un bon oeil.
Sur Xiaohongshu, équivalent chinois d’Instagram, la recherche de bâtiments abandonnés déclenche ainsi un message d’avertissement: « Cette zone est risquée, veuillez faire attention à votre sécurité et respecter les politiques et réglementations locales ».
Pour Brin Connal, c’est compréhensible: « certains de ces endroits abandonnés sont vraiment dangereux. D’autres sont devenus trop fréquentés ».
L’urbex se situe dans une zone grise d’un point de vue juridique. Mais pénétrer sans autorisation dans une propriété privée en Chine, comme ailleurs, peut valoir une amende.
Xu Pengcheng admet que les risques sont nombreux.
« Certaines propriétés sont protégées par des vigiles » qui peuvent devenir agressifs, explique-t-il.
« Et puis ces lieux sont souvent sans électricité ni éclairage, c’est dangereux. Sans compter les structures instables et des blessures potentielles liées aux matériaux de construction, comme les clous qui dépassent », dit-il.
Mais pour Mao Yi, une mannequin qui pose au milieu des bâtiments désaffectés, ces explorations offrent une bouffée d’oxygène face à la monotonie des grandes villes.
« Dans ces métropoles de béton et d’acier, on est souvent prisonniers de la routine », confie-t-elle à l’AFP.
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