lundi, novembre 18

« Les agriculteurs français qui pourraient être les plus affectés par la ratification de l’accord avec le Mercosur sont les producteurs de viande, de betteraves à sucre et de miel »

Le Monde a invité Marc Dufumier, agronome et professeur honoraire à AgroParisTech, à partager ses analyses et à répondre à certaines de vos questions dans ce direct.

Pourquoi l’accord UE-Mercosur cristallise-t-il la colère des agriculteurs français ? Quels sont au contraire les bénéfices de ce traité selon ses défenseurs, notamment l’UE ? Qu’est-ce qui fait que les accords de libre-échange sont encore considérés comme attractifs, malgré leur coût en matière de normes environnementales, sanitaires et sociales ?

« Les agriculteurs français ont bien des raisons de craindre la ratification de l’accord UE-Mercosur, du fait de se savoir bien moins compétitifs sur le marché mondial que les très grands exploitants agricoles d’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. Ils ont déjà été échaudés par des accords précédents, tel celui dit de “Blair House”, signé avec les Etats-Unis en novembre 1992.

Le fait de s’engager à ne pas mettre de barrières tarifaires ni de contingentements à l’importation de protéagineux s’est très vite traduit par des importations massives de graines et tourteaux de soja en provenance des Amériques. Et nous payons aujourd’hui très cher cette dépendance en protéines végétales pour l’alimentation animale. Un coût qui n’est pas seulement monétaire mais aussi environnemental.

Du fait de produire chez nous beaucoup moins de luzerne, trèfle, lupin et féverole, autant de cultures qui avaient pour effet de fertiliser nos sols en azote par la voie biologique, nous sommes contraints de recourir désormais à des engrais azotés de synthèse, très coûteux en énergie fossile et très émetteurs de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. A quoi s’ajoute le fait que nos importations de soja ont contribué à la déforestation et au déboisement de savanes arborées au Brésil (certes, dans de moindres proportions que les importations chinoises).

Les agriculteurs français qui pourraient être les plus affectés par la ratification de l’accord sont les producteurs de viande (bovines et de volailles), de betteraves à sucre et de miel. Ceux qui pourraient par contre en bénéficier sont les producteurs de vins, fromages et spiritueux, du fait notamment de la reconnaissance par l’accord d’un grand nombre de nos appellations d’origine protégée.

Quant aux peuples des pays du Mercosur, est-il vraiment de leur intérêt de voir leurs excédents de soja nourrir des cochons français alors même que les Brésiliens pauvres confinés dans les bidonvilles ne peuvent guère en acheter, faute de pouvoir d’achat ? Faut-il aussi vraiment les priver de viande parce que les Européens semblent capables d’acheter celle-ci un peu plus cher ?

Les seuls vrais défenseurs de cet accord semblent être plutôt des industriels et ceux qui souhaitent voir les marchés publics des pays du Mercousur ouverts à des entreprises européennes et non pas chinoises. »

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